Macron est jeune. Robespierre était jeune. Chacun, à leur manière,
ont fait une révolution. La comparaison s'arrêtera là.
De la social-démocratie vacillante (2017), à la conviction de lendemains meilleurs (1789), on ne peut que s'interroger.
A rebours.
Écrire le mot sur une première de couverture, et détruire le vieil ordre monarchique, ce n'est pas la même chose. Le décalage désespérant entre l'énoncé et l'action, le discours (démagogique, actuel), et la parole (révolutionnaire, de 1793), devrait nous mobiliser :
Par-delà les considérations générales (Hier la république, Maintenant en marche), où en sommes-nous aujourd’hui ?
II est étonnant que les figures majeures de la Révolution française suscitent toujours autant de passion, depuis, justement, la mort de la révolution (1794, mort de Robespierre). L'engouement passionnel ou le rejet hystérique devrait interroger notre rapport aux personnages historiques, en ces temps de biopics, d'exo et d’autofiction, de narcissisme illimité.
La rétroprojection morale sur la révolution française, conduit à rendre impossible la position de spectateur non-engagé.*1
De Büchner à Wajda, les fictions ont fait la part belle à Danton (dont la statue s’érige au centre de la capitale), tandis que Robespierre fut le plus souvent montré sous les traits d’un homme rigide, spectral, incorruptible inspirateur des dictatures communistes…
Sans tomber dans le travers de l’apologie aveugle, la poésie de Gertrud Kolmar désamorce tout discours qui en ferait un personnage antipathique, auquel on ne peut s'identifier. Ses poèmes nous montrent, sous une forme lyrique non dénuée de pathos parfois, que le tribun, homme sensible confronté aux émotions populaires, était aussi le meilleur garant de la voix du peuple.
Elle retrace dans des strophes impeccables, rimées, tendues, les personnalités clivantes de ce moment historique inouï : Danton, à la postérité glorieuse, versus la légende noire d’un Robespierre assoiffé du sang de la Terreur :
Il était, lui, fort ! Celui que célèbrent les bouches,
Que louent les grands livres,
Un de ces êtres sauvages, impétueux,
Qui se déchaînent, grandioses, gigantesques
Toi tu sombras en silence, sans rires,
Ensanglanté, haï;
Toi, frêle et pauvre, ami des misérables, des faibles,
Tu compris ton insuffisance….
La vérité historique du personnage est si complexe, qu'elle laisse le champ ouvert à la fantasmagorie. D’innombrables biographies ont tenté d’en effleurer le mystère. On peut citer l’excellent Robespierre, derniers temps de Jean-Philippe Domecq.*2
Par-delà les exégèses marxistes ou réactionnaires (Mathiez, Furet), malgré l’effet bicentenaire, peu de poèmes ont eu pour objet l’homme de 1793.
Ce livre vient combler un manque, il s’articule comme un inventaire d’objets, de moments, de personnes : Le Roi, Le Girondin, Les Hébertistes, Nuit, Le fauteuil, La table.
Il respire, couvert d’insultes et de poussière,
Sur cette table dans la salle du Salut public
Étendu comme sur le chevalet de torture…
Le moment sidérant de la chute de Robespierre, lorsqu’il est emporté le long de la rue Saint-Honoré, sous la hargne et la vindicte de ses ennemis, rappelle d’autres épisodes honteux de l’histoire de France (vengeances, lynchages, 1945).
Nue et scintillante la Jeunesse Dorée chevauchait
Déjà son cochon lubrique, rose et gras,
Debout dans les ruelles, à l’affût dans les portes,
Pour déshonorer la vertu abattue,
Pour cracher sur la vertu mourante.
Kolmar assimile le héros de la Révolution française à la figure christique du sacrifice,
de la mort rédemptrice :
Nécrologie
Je mourrai, comme meurt la multitude.
À travers cette vie, la houe passera
Et marquera mon nom dans la terre.
…
O Robespierre. Tu es : tu reposes au tombeau.
Poétesse de langue allemande, cousine de Walter Benjamin, déportée en 1943, moins connue que Ingeborg Bachmann, Gertrud Kolmar donne à ses poèmes une vision expressionniste, idéale pour peindre son personnage en victime expiatoire.
Comment alors, en ces temps de macronisation excessive, d’incertitude politique,
ne pas redonner parole à l’homme qu’il fut réellement, dans son désir inébranlable de justice et d’égalité :
Nous avons soulagé nos cœurs ulcérés… Le peuple est debout, il attend dans le silence une réponse enfin digne de sa souveraineté. *3
Véronique Pittolo
Gertrud Kolmar, Robespierre, traduction de l’allemand et postface de Sibylle Muller, éditions Circé, 2017, 214 p., 22,5€.
*1 Sophie Wahnich, La liberté ou la mort, éd La Fabrique, 2003.
*2 éd du Seuil, 1984.
*3 Robespierre, Archives parlementaires, 19 juin 1792.