La force des symboles à Dakar

Par Gangoueus @lareus

Nous avons chacun d’entre nous une manière de découvrir un pays, une ville le temps d’un passage, d’un séjour. Pour ma part, j'aime redécouvrir des places décrites par des romanciers talentueux. L’an dernier, je vous partageais quelques aspects de mon détour sur Washington, aux Etats Unis. J’avais particulièrement été impressionné par la place de la mémoire dans la capitale américaine. Ces notes-ci parlent de Dakar, capitale du Sénégal...
En arrivant à Dakar, j’étais dans un état d’esprit particulier. A la fois désireux de découvrir le pays de Senghor et de Cheikh Anta Diop avec la possibilité d’en voir le nord par Saint Louis et le sud très vert de la Casamance tout en y rencontrant quelques acteurs du monde de la culture et de la société civile sénégalaise. Mais je serais très honnête en vous disant aussi que je pensais au sergent Malamine en posant le pied sur le tarmac. Les congolais comprendront la référence à cet homme qui a eu une place singulière dans l’histoire congolaise. Le traducteur de Savorgnan de Brazza lors des négociations sur le traité avec le Makoko. L’histoire nous explique qu’il a tenu le bastion français de Mfoa qui allait devenir Brazzaville quand l’explorateur italien est rentré en France. Le Sénégal est donc dans mon esprit, en foulant cette terre un pays à part. J’aime ses auteurs. J’y ai souvent voyagé par le biais de l’écriture des femmes. Mariama Bâ. Aminata Sow Fall. Ken Bugul. Khadi Hane. Sokhna Benga. Fatou Diome. Mon champ de lecture dépasse ce cadre avec les plumes de Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr ou Mohamed Mbougar Sarr. Mais comme Port-au-Prince, New York ou Oran, Dakar me parle. Ouakam. Les Almadies. Yoff. Que ce soit Elgas, Sokhna Diarra ou Nafissatou Dia Diouf, ma présence en passant par certains points de la ville me donnent d’imaginer des sources d’inspiration pour ces auteurs.
Par exemple les talibés qu’on retrouve dans toute la ville avec leur petit bol dont l’exploitation par certains maîtres spirituels peu scrupuleux posent un vrai problème de société et de protection de l’enfance. C’est le sujet qui a été le moteur du livre poignant et nerveux écrit par Elgas. Ce sujet n’est pas simple. Beaucoup d’intellectuels et cadres sénégalais sont passés par cette phase initiatique. En en discutant avec une amie dakaroise ayant grandi dans un contexte familial rigoriste et religieux, elle m’expliquait avec beaucoup d’émotion la complexité du sujet en m’apprenant un fait divers douloureux ayant frappé des talibés récemment et la difficulté de poursuivre certains responsables religieux irresponsables.

Le monument de la Renaissance Africaine

Alors que nombre de sénégalais sont partis en province et dans leurs villages respectifs pour fêter la Tabaski en famille et « digérer » le mouton ensuite, la ville est désengorgée me dit-on. Les dakarois, les vrais, respirent. Avec Khadi Hane, le lendemain de cette grande fête musulmane, nous allons à l’assaut du Monument de la Renaissance Africaine sur les hauteurs de Ouakam. Il y a une foule très importante. Couleurs vives, robes de fête, il y a du monde aux pieds de l’impressionnant monument. Un homme, une femme, leur enfant, une direction. Je suis impressionné par la foule présente. Elle est joyeuse. C’est très populaire et les gens sont fiers de s’emparer de ce monument qui dominent sur leur quartier. Trois jours après, je repasse faire une visite de l’intérieur du musée sur recommandation d’Eloi Coly, conservateur de la Maison des esclaves de l’île de Gorée… J’y trouve des expositions intéressantes. Un parcours autour de l’itinéraire de Gandhi, le leader indien, apôtre de la non-violence et l’histoire de la construction de cet ouvrage d’art titanesque pensé par un artiste sénégalais, réalisé par des équipes nord-coréens. Disons-le, aux pieds de ces colosses, peu instruit des polémiques qui ont entouré la construction de cette structure, un sentiment de fierté vous traverse l’esprit. La projection est belle. Mon passage à Gorée ne fera qu’amplifier cette perception.
Ce sentiment surprend quelques uns de mes interlocuteurs pour qui ce monument est un caprice de Wade. Je leur explique qu’ils ne mesurent pas encore la portée du symbole, c’est bien trop frais. Je viens d’un pays où en est encore à construire des monuments à la gloire du colon, comme cette statue de Savorgnan de Brazza. Des villes ayant pris des noms congolais comme Loubomo ont été rebaptisés Dolisie en souvenir de l’ancien maître des lieux. Mais au-delà de ce background personnel, qui a plongé dans la fiction et les imaginaires des communautés afro-descendantes déportées ne peut percevoir le monument de la Renaissance Africaine comme un avatar d’un vieux président ambitieux et ayant la volonté de laisser une marque visible de son règne.


Gorée


Il faut connecter ce monument de la Renaissance africaine avec la maison des esclaves de Gorée. Comme tous les lieux qui ont servi de comptoir pour commerce triangulaire de Loango à Ouidah, d'Elmina à Gorée, nous sommes dans un lieu douloureux qui porte la marque de l’échec d’un continent pour ne pas dire son martyr. On est frappé par la simplicité de cette maison des esclaves, ce lieu de barbaries où pendant que des hommes et des femmes étaient traités comme des déchets, aux étages, les maîtres, les commerçants festoyaient et dormaient paisiblement. Etrange paradoxe que tout cela se passe pendant le siècle des lumières… A Gorée, on sent plus les choses qu’on a de l’information. Les choses devraient changer prochainement. Une base documentaire devrait voir le jour bientôt et un projet de réhabilitation d’un autre bâtiment est envisagé. L’île de Gorée est magnifique. Mais le poids du passé est cependant trop lourd. J’ai été marqué par l’irrévérence de certains visiteurs qui laissent des graffitis comme si nous étions dans une salle de classe d’un collège quelconque sur le continent. Ce manque de respect pour la douleur subie pas les gens qui sont passés par ces lieux ne trouve pas d’explication, de sens à mon niveau. Je ne comprends pas. L’absurde serait donc qu’on soit obligé de mettre un vigile derrière chaque visiteur ? Bref, l’arrivée à la porte du non retour parle tout de suite à l’imagination. La déstructuration de ces hommes et de ces femmes commence vraiment là. Les structures matrifocales que l’on retrouve dans la plupart des sociétés afro-descendantes américaines, en particulier dans les îles et dans les ghettos est une des conséquences de 400 ans de perpétuation d’un système esclavagiste féroce. La Maison Blanche que j’ai vue l’an dernier a été bâtie avec la sueur de ces hommes et de ces femmes arrachés à leur terre. Le monument de la Renaissance regarde en direction de la statue de la Liberté. Les monuments continuent de se parler. Reconstruire. Une reconstruction qui passe par la cellule familiale et un combat sans merci contre l’ignorance et la méconnaissance de nos héritages respectifs. L’Afrique est diverse. 
Naturellement, ces mots sont ceux d'un blogueur qui exprime ses impressions, ses interrogations et parfois des certitudes. A suivre...