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La souris plus forte que le bœuf
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Leonard Wibberley - La souris qui rugissait [Traduit de l’anglais par J. M. Daillet – Héros-Limite, 2017]
Article écrit pour Le Matricule des anges
« Le duché du Grand Fenwick se cache au fond d’une dépression des Alpes du Nord et réunit, en un paysage accidenté, trois fins de vallées, une rivière, une montagne de sept cent mètres et un château fort. » Ce roman, originellement publié en français en 1955 à l’enseigne Fasquelle et aujourd’hui réédité à l’initiative des pertinentes éditions Héros-Limite (qui ont également repris les illustrations de Siné), est le premier – et faut-il croire, le meilleur – d’une série à succès centrée sur le même petit pays imaginaire coincé entre la Suisse et la France. Un pays dont le goût pour la pompe est inversement proportionnel à la taille ; une pompe à la fois ridicule et attachante, où la belle Duchesse qui régente cet imperturbable royaume miniature passe sans anicroches d’un cérémonial guindé dans son château à une conversation informelle chez l’un de ses administrés, et ce en quelques brefs tours de pédales. La souris qui rugissait reprend la tradition des contes philosophiques et joue du décalage, construisant à sa façon légère une fable politique et bouffonne qui, bien qu’ancrée dans son époque (la Guerre Froide), n’a pas pris de rides. L’auteur, le prolifique Irlandais Leonard Wibberley (1915-1983), le dédie d’ailleurs « à toutes les petites nations qui, au cours des siècles ont fait de leur mieux pour obtenir et sauvegarder leur liberté ».
Par certains aspects, les rares habitants du Grand Fenwick semblent encore vivre au moyen-âge, époque où fut fondé le Duché par un mercenaire anglais en rupture de ban. La soldatesque arbore fièrement boucliers et côtes de mailles tout en brandissant l’étendard national où un aigle à deux têtes dit « Yea d’un bec et Nay de l’autre ». Le pays vit dans une autarcie quasi complète et ne semble pas avoir connu l’industrialisation ; son seul produit d’exportation, et partant sa seule source de revenus sur le marché international, est un pinot noir très recherché des amateurs, issu des vignes qui poussent sur l’un des versants des montagnes environnantes. Seulement, un cuistre californien s’est mis en tête d’en produire une imitation.
D’une certaine manière, cette mauvaise nouvelle en est aussi une bonne, car elle pourrait bien leur apporter la solution à la préoccupante crise qui couve. Le pays a de plus en plus de mal à couvrir les besoins de ses habitants, il va falloir importer. Oui, mais comment, sans argent ? En déclarant la guerre aux Etats-Unis ! Et, surtout, en la perdant presque aussitôt, afin de pouvoir profiter de la manne que la grande puissance ne manquera pas d’offrir au pays vaincu. Devenir, autrement dit, l’objet d’un nouveau Plan Marshal, un bon moyen de garder sa souveraineté et ne pas perdre la face. La petite souris rusée envisage donc de grogner face à l’éléphant, histoire de profiter de lui.
Naturellement, les choses ne se passeront pas telles que planifiées par la Duchesse et ses ministres. Contre toutes attentes et suite à un improbable concours de circonstances et une série de quiproquos, la petite armée fenwickienne, une trentaine de soldats armés d’arcs et de flèches, réussit à s’emparer de New York, à y planter son drapeau, puis à revenir au pays avec en otage un scientifique et la terrible bombe nucléaire qu’il vient d’inventer, dont l’explosion pourrait détruire la planète entière. Et cela, sans que les Etats-Unis ne se soient même rendus compte qu’ils étaient entrés en guerre ! L’affaire ne tardera pas à prendre une tournure mondiale, plaçant le petit Duché au centre de toutes les attentions, devenu soudain garant de la paix, faisant ainsi la nique aux Américains et, tant qu’à faire, aux Russes également.
Les épisodes hilarants ne manquent pas et Wibberley tourne avec finesse en bourrique les prétentions des puissants et leurs bonnes intentions, toujours douteuses. Le genre de livres qu’on ne saurait lire que d’une traite.