Quels sont ces Angles étincelantsqui donnent leur titre au recueil de Laurent Cennamo ?
En fait cette expression figure dans une phrase de Peter Handke, extraite du Poids du monde, que le poète a mis en épigraphe à son livre :
Écrire voulait dire: se frayer quotidiennement un chemin vers les angles étincelants de la vie.
Dans le recueil, il y a deux occurrences qui éclairent l'emploi de l'expression:
(La pomme que tu étais
avant de naître
a roulé - on ne voit plus,
désormais que les angles étincelants)
... on devine dans les angles
étincelants de la pièce, véritablement "rincés"...
Les angles donc ? Ce qui est saillant dans la mémoire du poète, ce qui étincelle à ses yeux, ce que sa plume retient.
Émis par sa plume vagabonde, le lecteur, lui, retient des mots qui reviennent dans le monde de Cennamo et pèsent sur lui :
- Puits :
Avoir un enfant serait comme creuser
un second puits à côté du mien
Pour mon malheur
le trou où l'on meurt
le profond puits
où périt celui
qui trop pleura
je l'ai déjà franchi
- Papillon:
De plus en plus pâle, un grand papillon
perdu, à l'aube, pianotant fiévreusement
sur les touches de son portable.
Je suis un papillon et Dieu a posé sa main sur moi
- Écureuil:
... L'écureuil volant que nous n'aurons
pas su voir...
Se briseront nos imaginaires
branches étoilées, mort gelé
l'écureuil de nos si claires pensées
Le lecteur retiendra encore des noms d'écrivains qui ne sont pas cités là fortuitement : Kafka, Nietzsche, Musil, Platon, Meret Oppenheim...
... et des noms de peintres qui apparaissent nommément : Simone Martini, Piero della Francesca, Velazquez (La reddition de Breda); ou qui le sont implicitement : Jan van Eyck (Arnolfini) ...
Il retiendra aussi que le monde où Laurent Cennamo chemine est diversité : les villes de Genève ou de Mantoue; le parc de la Sumava ou les rives de l'Arve...
... et retiendra que son monde est souvenirs d'enfance, d'amitié et d'amour, de vie et de mort :
Le bâton que nous lui lancerons, la Mort
ne nous le ramènera pas...
Il retiendra enfin ces angles d'époque (mais sont-ils tous étincelants ?) : un monstre violet (Mattel), de petites maisons Bouygues, un joystick, des footballeurs (Roberto Baggio et Renato Steffen), un héros télévisé qui a un tournevis à la place du coeur (Mac Gyver)...
Comment ne pourrait-il pas aimer qu'il dise :
Fraise, notre amitié.
Fraise écrasée - ou fraisier ? - le silence
interminable qui suit
Ou qu'il emploie le même mot de fruit goûteux dans une proche acception :
C'est un autre monde, celui
où la femme aux cheveux noirs, ou blonde, belle, mâche
un chewing-gum à deux centimètres
de ta bouche. Le monde, alors : une fraise
une framboise au-delà des vitres du tram ruisselantes de pluie...
S'il ne fallait pourtant retenir qu'une image, ce serait, m'est avis, celle-là :
Le coeur du feu : à gauche
de la fumée
Francis Richard
Les angles étincelants, Laurent Cennamo, 80 pages, La Dogana
Recueil précédent :
FH Samizdat (2016)