Allez tire cheval gris Alexéï Vassiliévitch Koltsov (1809-1842.) : poète né à Voronej, grand ami de Biélinski, auteur de chansons " quasi populaires " ainsi que les qualifie D. S. Mirsky dans son **Ces vers entre crochets ont été rayés dans le manuscrit. Cf. V. P. Grigoriev,
du globe terrestre
Encore un effort un petit
Je t'ai attelé
à l'araire stellaire
je te fouette
avec le fouet des rêves
Tout ce que je chante
je le nourris d'avoine
tout autour je cueillerai l'herbe paternelle
je t'en nourrirai je t'en régalerai
Je ne te nourris pas
pour couvrir de honte les cheveux gris :
j'aime la tradition
et je veux faire le polisson !
Je verse une pleine coupe
d'avoine dans ta mangeoire
avant la lutte générale
pour l'envolée dans les ciels
Par l'eau glacée je
raconterai où je vais
que les nombres grandioses
sont les bergers de ma pensée
Je t'ai nourri pour
saisir les voiles
car l'avoine t'est chère
et agréable la rosée
J'ai arraché
du bon foin
pour que l'âme puisse lire lectrice de l'ad-venir
que la haute vague de la constellation se soulève
et que l'orage va fondre comme un oiseau
Ami à la crinière blanche - tu piges ?
toi dont la crinière se noie dans les montagnes de neige
Sur les nuées cette inscription : " Nôtre "
ce qui signifie : je prépare la poudre
Allez tire cheval gris par ce chemin-ci
le globe terrestre cheval gris de Koltsov rosse de Tolstoï*
Qui me hèle du fond de la Voie lactée ?
[Ah ? Vova ?
Il frappe à la porte des étoiles !
Ami ! Donne que je serre ton noble sabot** !
2 février 1922
/
Je ne me gonfle pas
comme un diablotin de carnaval
jusqu'à piauler comiquement
grimacer et pleurnicher comme un marmot au sein
non je viens de la fosse commune
et des enterrements
je suis le tocsin du Vouloir-libre
je lève mon bras
dire le danger
Lointain et blafard
c'est moi qui vous montre le chemin
et non pas les grands feux
qui cuisent le taureau
sur votre tillac
celui de vos connaissances et de vos proches
Oui j'ai décroché et suis tombé
les nuages noirs m'ont couvert
et me couvrent encore
mais n'est-ce pas vous qui êtes tombés plus tard
et avez chassé la mémoire des naufrages
vous qui sans le vouloir m'avez modelé dans les pierres
en ombre terrestre ?
Pour avoir mentionné les étoiles
et avoir été le courant d'air de la vie de ces gueux
plus d'une fois vous m'avez abandonné
et avez emporté mes vêtements
alors que je traversais les détroits du chant
vous avez ri aux éclats de me voir nu
et vous-mêmes vous êtes déshabillés
quelques années après
sans avoir perçu en moi
les sommets des événements
ni derrière la pensée de l'écrivain
la plume de la main des temps
Médecin solitaire
dans cette maison de fous
j'ai chanté mes chants médecines
Vélimir Khlebnikov, œuvres 1919-1922, introduction, annotation et traduction du russe par Yvan Mignot, préface de Catherine Perrel, Verdier, 2017, 1312 p. 47€, pp. 737 et 743
*Allusion au poème de Koltsov " La chanson du laboureur " (1831), qui commence par le même vers (" Holà, tire, cheval gris ") et est un hymne au blé à venir.
Histoire de la littérature russe. Cf. les vers de Mandelstam en exil à Voronej (1er-9 janvier 1937) : " Moi emprès de Koltsov je suis / comme le faucon enclos ".
op. cit., p. 552., et son commentaire : " la faillite des espoirs que Khlebnikov mettait en Maïakovski [...] et la rupture totale des relations avec lui ". Dans le tome III, p. 298 des Œuvres ( Tvoreniia, Izd. Pisateleï v Leningrade, Léningrad, 1931) préfacées par Tynianov et éditées par Stépanov, il est dit : " daté 2.02.1922, l'ajout à la fin "À Vova..." est rayé ".
Dans Poezibao :
Lire (Entretien) avec Yvan Mignot, par Liliane Giraudon : "Traduire Khlebnikov", entretien réalisé à la suite de la parution de cette importante édition.
Voir aussi
bio-bibliographie, notes sur la poésie, ext. 1, ext. 2