"Une vie ne suffit pas. Jeanne aurait voulu en avoir plusieurs, pour vivre tous les choix qu'elle n'aura pas faits, toutes les directions qu'elle n'aura pas prises."
Entre son travail à la poste, son mari Rémy et ses projets de rénovation de la cuisine, ses deux filles, Jeanne mène une vie bien réglée, bien calibrée. Ses rituels hebdomadaires ne changent pas : le lundi, piscine, le mardi macaron, le mercredi course et ménage, le jeudi bibliothèque, le vendredi cinéma, le week-end elle reçoit la visite de ses filles et le dimanche elle se rend au déjeuner dominical avec ses parents et ses soeurs.
Cet été-là, Jeanne regarde passer les trains et observe les silhouettes qui se croisent dans les wagons. Elle pense alors à la part de hasard qui régit nos existences. Et c'est par hasard qu'elle fait tomber le cadre contenant la photographie d'une artiste qu'elle admire : Marina Abramovic. Cette femme prête à prendre tous les risques la fascine profondément tant elle est à l'opposé du quotidien prévisible de Jeanne. Elle ressurgit alors dans sa vie, prenant une place de plus en plus prégnante, insufflant un brin de folie en l'esprit rationnel de Jeanne.
Marina Abramovic et Ulay sur la muraille de Chine
http://www.artwiki.fr/cours/art_video/abramovic_ulay.htm
Jeanne se replonge dans les interviews de l'artiste et lui adresse des lettres, comme une porte de sortie, comme une fenêtre qui s'ouvrirait sur un autre monde, d'autres possibles, d'autres choix.
"On devient artiste parce qu'on est sensible et parce qu'on est mal dans le monde. ce n'est pas une question de don mais d'incapacité à vivre avec les autre. Et cette incapacité à vivre crée le don." Marina Abramovic
"Etre artiste, tellement de gens veulent être cela. On veut tous... Mais l'envie de suffit pas. Il faut que ce soit une nécessité. Qu'on devienne fou si on ne le fait pas." Marina Abramovic
Et puis la beauté des jours jaillit, qu'ils soient prévisibles ou fous, ils contiennent leur îlot de beauté que l'oeil se doit de saisir. Oser, risquer le changement, loin de la peur qui fige, bousculer le monde pour que, soudain, les belles choses brillent.
"Je suis sûre qu'on n'oublie pas les belles choses quand on est de l'autre côté. Il reste forcément des trucs dans la mémoire, les abeilles qui butinent, les bêtes avec leurs petits, les chemins, tous les machins simples qu'on faisait. C'est les petits riens sans importance qui font les vies superbes. les bonnes copines aussi, hein..." p. 296
Dans ce magnifique roman, Claudie Gallay fait vibrer nos coeurs et prouve qu'il existe une utilité à l'inutile, que l'art peut transcender la réalité et toucher à l'essence du monde...
"Le premier homme de la préhistoire qui composa un bouquet de fleurs fut le premier à quitter l'état animal : il comprit l'utilité de l'inutile."
La beauté des jours, Claudie Gallay, Actes Sud, août 2017, 416 p., 22 euros