Ce samedi dans On n’est pas couché, Christine Angot a adopté la posture d’une « femme de droite » pour reprendre le titre du livre d’Andrea Dworkin. Dworkin s’intéressa à ces femmes qui adoptaient des positions si contraires aux intérêts de leur groupe (être anti IVG, défendre mordicus le mariage hétérosexuel etc) ; elle montra dans ce brillant essai que ces femmes ont parfaitement conscience de la domination et de la violence masculines. Ce ne sont pas des femmes qui les nient bien au contraire ; elles adoptent simplement des stratégies pour espérer en souffrir le moins possible. Ainsi elles vont par exemple défendre le mariage en espérant qu’être sous la protection d’un homme les préservera de la violence des autres. C’est évidemment une stratégie suicidaire puisque le principal lieu des violences masculines se passe au sein du mariage. (résumé du livre ici). Mais Dworkin montre que ces femmes ont analysé que la domination masculine est trop importante pour s’y opposer et qu’il vaut mieux composer avec.
Face aux violences sexuelles, c’est la stratégie qu’Angot a décidé d’adopter. Ne pas se définir comme une victime. Parce qu’il « n’y a personne ». « Se débrouiller ». Chacun-e a feint de se scandaliser. On sait pourtant, affaire après affaire, le traitement réservé aux victimes de violences sexuelles. Chacun-e semble avoir oublié qu’il y a six mois, toutes celles qui ont dénoncé les actes de Baupin ont été traînées dans la boue pour « avoir trop tardé à parler ». Aujourd’hui Sandrine Rousseau est mise sur un piédestal… juste parce que cela permet de taper sur Angot, ne nous y trompons pas. On reprochera bien vite à Rousseau ses larmes, son combat, « sa misandrie » et que sais-je encore. Cela commence déjà puisque certains nous expliquent qu’une main sur les seins cela n’est pas grand-chose, n’est-ce pas.
Angot fait le choix de se débrouiller. Et chacun-e, féministes comprises, de s’émouvoir. Mais Madame, il ne faut pas se résigner. Il faut lutter. Personne ne parle du prix à payer à lutter. Personne ne parle du viol qu’on te renvoie dans la gueule en douce, dont tes opposant-es se servent pour te définir quand ce que tu dis ne leur plaît pas. On le fait en boucle avec Angot depuis quelques jours. Elle est définie comme l’écrivaine « du viol », celle qui en fait son « fond de commerce » alors que son œuvre dit tant d’autres choses. On parle à l’envi des viols par sodomie, des viols par fellations, on en rit, on relativise, on se dit que cela l’a rendue folle. Les pires disent que son père a eu bien du courage. QUE SON PERE A EU BIEN DU COURAGE. Se dire victime de viol c’est se voir exposée à poil sur la place publique en train de se faire prendre en levrette. C’est cela que la majorité des gens imaginent et qui fait qu’ils vous méprisent tant de parler.
J’ai ri, je l’avoue, de ces milliers des réactions de ces tartuffes qui prétendaient, d’un coup, avoir un infini respect pour les victimes de violences sexuelles. Enfin celles qui vous conviennent évidemment. Pas Angot l’hystérique, pas Angot la malsaine, pas Angot qui en dit trop, en fait trop, n’est pas d’une politesse insigne avec une autre victime. J’ai rapproché cela des réactions à chaque viol médiatisé et où les victimes sont systématiquement traînées dans la boue sans que cela n’émeuve grand monde. J’ai rapproché cela du fait que ce matin, une QUATRIEME femme vient de dire avoir été violée par Roman Polanski sans qu’on en dise beaucoup plus « ah ben tiens une de plus c’est ennuyeux quand même ».
La vérité, et elle est atroce, est que la majeure partie des victimes de violences sexuelles « se débrouillent toutes seules ». Parce qu’il n’y a pas les structures, parce que les psys ne sont pas formés, parce que la justice s’en balance, parce que les flics s’en balancent, parce que la société s’en balance, parce que nos amis s’en balancent, parce que nos parents s’en balancent, parce que nos mecs s’en balancent (enfin sauf si ce sont eux les violeurs, remarquez). Les féministes (et même si vous avez l’impression qu’on est nombreuses cela n’est pas le cas) tentent au milieu de tout cela de changer les choses. Difficilement. Parce que les hommes nous distraient à pleurnicher qu’ils ne sont pas tous coupables, qu’ils adorent les femmes et gna gna gna mais quand même ils haïssent Angot cette salope.
Nos viols vous excitent ; vous vous demandez ce qu’on a pu exactement subir. Les mandarines sur la queue du père de Angot vous ont fait rigoler. Les mains de Baupin sur les seins de Rousseau vous ont fait dire que, quand même ca n’était pas si grave. Une gamine de 13 ans droguée et ivre qui dit non (QUI DIT NON PLEIN DE FOIS) par Roman Polanski vous a fait écrire des tonnes de papiers merdiques pour expliquer qu’elle faisait plus vieille que son âge. Et que ca pontifie pour nous expliquer les choses des fois qu’on aurait pas bien compris. Il y a la bonne victime de violences, qui pleure gentiment et la mauvaise qui hurle. Il y a la bonne victime qui a subi des trucs très lourds (tu nous les racontes steuplait) et la mauvaise qui aurait du régler ca à coups de claques.
Angot l’hystérique. La folle. La cinglée. Bonne à brûler. Il faut la virer. Rendue tarée par les viols. Son fonds de commerce c’est son inceste.
Le discours d’Angot m’énerve. Parce que je suis féministe. Parce que j’ai fait le choix de lutter et de parler. Mais je ne saurais imposer ce choix à personne, qui n’a rien de simple, rien de courageux. On se débrouille comme on peut. Parler peut servir comme parler peut être pire que tout.
Le discours de Angot est en effet pour moi celui d’une ennemie politique. Mais pour reprendre une expression de Delphy, elle n’est pas l’ennemi principal. L’ennemi c’est cette domination masculine, brutale, écrasante, qui se permet de juger de la réaction des femmes victimes de violences sexuelles. Ce sont les rires de Ruquier, Ardisson face aux violences sexuelles. Ce sont les discours pontifiants de Moix et Askolovitch pour définir qui est bien digne d’être écouté et quelle forme cela devrait prendre. C’est le fait de prendre une victime de violences pour taper sur une autre. C’est l’absence de papiers allant interviewer Angot pour lui demander ce qu’elle a voulu dire, pourquoi elle l’a dit là et qu’est-ce que ça veut dire que « se débrouiller ». Ce sont ces milliers d’hommes qui se permettent de juger Angot et que j’ai vu, dans d’autres circonstances juger que « les féministes allaient trop loin ».