Candinho Santana est plongeur à la Société des Hommes Grenouilles. Il fait visiter les fonds marins au large de TiBrava et de la Gold Coast à des clients fortunés. Il est recruté par Graeme Henderson dans le cadre d’une mission de l’UNESCO dénommée Archeos, dont le but est de répertorier les épaves de navires négriers à travers le globe et si possible de les remonter à la surface. Il est invité par la Banco do Brasil pour une exposition et une série de conférences qui se déroulent dans trois villes : Rio, Recife et Bahia. La finalité de ce voyage paraît claire. Seulement, le séjour de Santana au Brésil l’entraînera à la découverte de sa propre identité et de la dispersion de celle-ci sur les deux rives de l’océan Atlantique.
Les raisons du voyage au Brésil sont à trouver au-delà des apparences
Santana ne se rend pas au Brésil comme n’importe quel Africain. Il se trouve qu’il est Afro-Brésilien, ce qui change radicalement la donne. Le terme Afro-Brésilien évoque les descendants d’anciens esclaves africains revenus du Brésil pour s’installer en Afrique non pas, nous révèle le narrateur, Santana, par amour du continent de leurs origines, mais pour fuir la ségrégation qui fut instaurée immédiatement après l’abolition de l’esclavage. D’ailleurs, sa grand-mère, Ma Carnelia Esperança, femme haute en couleur qui dissimule bien les secrets de sa jeunesse, lui a toujours dit qu’eux, les Afro-Brésiliens, sont différents des autres noirs de TiBrava, ils ont quelque chose en plus, un supplément, dû au fait qu’ils ont côtoyé les Portugais et sont donc des êtres civilisés. Ainsi, le périple de Santana prend des allures deretour vers ses racines, ses racines américaines. Mais, est-ce le seul but de son voyage ? Il se trouve que Santana a un ami d’enfance nommé Djibril. Grâce à Velásquez, le joyeux saltimbanque qui occupe une villa abandonnée à la rue des Charbonniers, ils apprennent que l’ancêtre de Djibril était maître des rituels à Gléhué à l’époque du roi Adandozan. Il fut déporté au Brésil à cause de son implication dans le stratagème de Guézo, en vue de destituer son demi-frère. D’ailleurs, Velásquez leur remet un exemplaire du roman Esclaves qui raconte l’histoire de cet ancêtre, qui est connu tour à tour comme Sule Djibril ou Miguel Do Nascimento, mais jamais sous son nom danhoméen. Il faut dire que le père de Djibril, pour des raisons qui demeureront obscures, a décidé de ne pas révéler ce passé familial à ses enfants. Au-delà de son questionnement personnel, le voyage de Santana au Brésil est aussi un pèlerinage sur les traces de l’ancien maître des rituels de Gléhué. D’ailleurs, son escale à Recife y sera entièrement consacrée, il rapportera même à Djibril du sable dans une bouteille.Le passé est ce phare qui éclaire le présent brumeux
Les enfants du Brésil est construit comme un dialogue entre le passé et le présent. La fonction du passé est d’expliquer le présent brumeux, fait de non-dits, de mensonges et de cachotteries. D’où les retours fréquents à la prime jeunesse de Santana, façonnée par sa grand-mère, Ma Carnelia Esperança, et par le légendaire Velásquez qui, comme la navette du métier à tisser, confectionne la trame de l’histoire. Le passé est ainsi restitué contre les volontés qui justement veulent le laisser sombrer dans l’oubli. Il devient ce phare qui éclaire le présent, aide à se réconcilier avec soi-même, et surtout à résoudre les maux du présent. Dans le cas de Santana, cette réconciliation se fera d’abord par l’esprit. Mais, dans l’univers du Vodoun, dont l’empreinte est indéniable dans le roman, elle engage aussi la matérialité de l’individu. La divinité ne pénètre-t-elle pas l’enveloppe physique d’un officiant pour se manifester à l’assemblée ? Oui, pour être totale, elle doit être approuvée par le corps, ce qui se produit dans la rencontre de Santana et Dalva, issue d’une riche famille, qui abandonne un travail bien rémunéré pour préparer une thèse d’anthropologie sur ses origines.Tout est dans l’art du dévoilement, une couche après l’autre
En effet, Les enfants du Brésil est sous-tendu par une dynamique du dévoilement. Les apparences sont trompeuses, forcément trompeuses, puisqu’elles résultent d’un arrangement avec l’histoire. Au premier rang, il y a la traite. Après son abolition, une chape de plomb la recouvrira, et il faudra attendre des siècles plus tard pour que l’on reconnaisse enfin l’implication des Africains dans ce crime. De la même manière, Djibril, qui est pourtant musulman, se découvre une origine afro-brésilienne. On peut citer également Dalva qui est de type européen et se découvre un ancêtre africain. Ou encore Paula, la patronne de l’agence de la Banco do Brasil à Rio qui accueille Santana. Elle est africaine en apparence, mais elle est d’une ascendance européenne. Le summum du dévoilement est atteint avec Velásquez, dans une grande théâtralité convoquant le Bouyiran, un carvanal créé par les Afro-Brésiliens. Oui, Velásquez, l’homme aux multiples visages, aux multiples noms, celui qui préside aux destinées de la communauté des raconteurs d’histoire, avec le soutien de sa compagne, la belle et plantureuse Sikadin, fruit des amours du Roi Adandozan et de Sophia de Montaguère, l’abolitionniste danoise, est lui aussi un enfant du Brésil.La suite d’Esclaves, un précédent roman de l’auteur
Les enfants du Brésil peut être considéré comme la suite d’Esclaves, un précédent roman de Kangni Alem qui aborde l’implication des Africains dans la traite et le retour des anciens esclaves. Malgré le temps, le constat est clair et net : cette histoire continue d’être ignorée. Mais on peut aussi y voir un approfondissement de sa nouvelle, L’enterrement de Vélasquez raconté par sa ville parue dans le recueil Un rêve d’albatros. Plus encore, il apporte une réponse aux errements de Djibril, le personnage des Filles de Mexico de Sami Tchak. Il éclaire ce périple absurde dans le Nouveau Monde et le sauve. Oui, Santana se penche sur l’épaule de Djibril et lui susurre cette parole libératoire : ta quête apparemment insensée est justifiée, mon gars, puisque tu es un enfant du Brésil !© Timba Bema