Critique de Faisons un rêve, de Sacha Guitry, vu le 29 septembre 2017 au Théâtre de la Madeleine
Avec Nicolas Briançon, Marie-Julie Baup, Éric Laugérias, et Michel Dussarat, dans une mise en scène de Nicolas Briançon
Il y a ces critiques qu’on peine à écrire, celles qui rament un peu, qu’on a du mal à sortir de notre ventre parce que le spectacle était certes bon, mais qu’il nous laissera finalement un souvenir plutôt flou. Et il y a les critiques qu’on aimerait incroyables, aussi entraînantes que le spectacle dont on sort, celles dont on s’imagine un nombre incalculable de bons mots superbement rythmés à la sortie de la pièce mais qui au fond déçoivent toujours tant elles sont en dessous de ce qu’on voudrait écrire et transmettre. La critique qui va suivre est de celles-là.
Ceux que je vois grincer des dents à l’annonce d’une pièce de Sacha Guitry ne connaissent pas Faisons un Rêve. A mon sens, c’est un chef-d’oeuvre de théâtre : l’un de plus beaux monologues, l’une des plus belles fins, l’une des répliques les plus perspicaces sur les réactions humaines absurdes (mais je vous laisse la découvrir…). Et pourtant, tout cela part d’une situation bien banale : le mari, la femme, l’amant. Mais la finesse et le charme des dialogues de Guitry nous entraîne bien plus loin qu’une simple scène de boulevard et je vous invite à découvrir (ou à redécouvrir) cette pièce entre les mains de Nicolas Briançon.
C’est un texte que je devinais fait pour lui. Il a ce talent-là de faire éclater des bulles de Guitry sans jamais perdre la saveur du délicieux champagne qu’il nous sert. Le texte lui sied à merveille, et il lui rend si bien : endossant la casquette de metteur en scène, il nous livre un spectacle éclatant, sans aucun artifice : il le sait, ce texte a du génie, et si on l’entend bien le résultat sera là. Partant de ce constat, sa direction d’acteur est impeccable, et il a su créer une belle harmonie sur la scène – du trio amoureux, aucun ne cherche à se démarquer, et cet accord parfait est un charme supplémentaire de ce spectacle.
Mais, on le sait, il a plus d’une corde à son arc, et il peut diriger brillamment un spectacle tout en incarnant l’un des personnages principaux avec maestria. Son Lui est exquis : charmeur sans lourdeur, plaisant sans bouffonnerie, il a le regard vif et l’oeil coquin. Il faut bien le reconnaître : il est absolument délicieux, et il nous conquiert aussi rapidement qu’il séduit Elle, incarnée par Marie-Julie Baup. Grâcieuse et très touchante, elle confère à son personnage une dimension que je n’avais jusqu’alors pas observée chez Elle : une réelle humanité et une délicatesse de femme. Son Je t’aime ! déclaré avec une réelle spontanéité est des plus beaux, des plus sincères, et des plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir. Pour compléter le trio, Éric Laugérias campe un mari plutôt simple, en contrepoint des deux autres, dont l’accent chantant et les remarques décalées soulèvent tout autant les rires que ses camarades. Et comme la finesse est de mise dans ce spectacle, j’aurais aussi un mot pour Michel Dussarat qui est un valet de chambre cocasse, jamais pesant !
Je l’attendais, le voilà : mon coup de coeur de cette rentrée théâtrale. ♥ ♥ ♥