Près de la place grouillante du Duomo à Florence, bien peu de touristes doivent se douter que le Palazio Nonfinito renferme à nos yeux des trésors. En effet, ce bâtiment imposant abrite le Museo di storia naturale, dans lequel est conservé un heva du troisième voyage de Cook... c'est l'unique exemplaire complet de cette dernière expédition.
Mais comment a -t-il pu atterrir à Florence ?
Nous devons de nouveau à Adrienne L. Kaeppler des éclaircissements sur ce sujet.
La collection ethnographique du musée fut pour la première fois décrite de manière systématique par Enrico Hillyer Giglioli en 1893. Ce dernier émit l'hypothèse que les objets du Pacifique alors présents provenaient du troisième voyage de Cook car leur appartenance géographique correspondait précisément aux îles visitées par Cook au cours du second voyage ; mais il n'avait aucune preuve de son intuition.
Plusieurs décennies plus tard, Antonio Mordini et Adelaïde Fabiani, tentèrent de prouver ce qu'avançait Giglioli - sans grand succès - à l'exception de l’existence d'une lettre datée de 1785 d'un certain Michelangiolo Gianetti affirmant que le capitaine était mis à l'honneur en Toscane cette année là, avec la présentation publique d'une collection d'objets ethnographiques du Pacifique appartenant au Cabinet Royal.
On en resta là pendant près de 200 ans.
En 1971, Michel Hoare de l'Australian National University attira l'attention d'Adrienne Kaeppler sur un manuscrit conservé à Wellington, écrit en français de la main de Georg Forster et daté du 17 février 1778. IL s'agit d'une simple description d'objets du Pacifique sans aucune explication, et aucune collection connue ne semble correspondre à cette liste.
Mais un jour de 1973, A. Kaeppler apprit en discutant avec Ruth Dawson, doctorante à l’époque à l'université du Michigan et dont le sujet de thèse portait sur Georg Forster, qu'il existait une lettre de ce dernier, écrite elle aussi en français à un certain Giovani Fabroni, un scientifique italien qui oeuvrait à mettre sur pied le Museo di Fisica e Storia Naturale de Florence.
Cette lettre se trouvait à l'American Philosophical Society Library...
Elle le prie de bien vouloir rendre compte au Grand Duc que lui et son père possèdent un grand nombre d'artefacts qui pourraient entrer dans la collection de ce dernier (non pas à donner mais bien à vendre)... et qu'il prend la liberté d'inclure à cette lettre le catalogue de ces objets.
Tout est clair... Sauf que... les archives du musée de Florence restent muettes sur une telle acquisition ; certains objets peuvent correspondre à ceux de la liste... Pas tous !
Il faut alors se souvenir de la vente de la collection de Georg Humphrey en 1779 à l'occasion du heva de Göttingen... On sait que ce même Fabroni accompagné de Felice Fontana (un physicien lui aussi) étaient à Londres en 1779 car leurs noms sont mentionnés comme acheteurs de spécimens d'histoire naturelle.
Kaeppler suggère que Fabroni devait connaître Humphrey et a dû lui acheter des objets du second voyage avant la vente (ou peut être aussi lors de la vente même car les noms des acheteurs ne sont pas tous mentionnés).
On sait de plus que Fabroni était en Angleterre de 1778 à 1780 et qu'il connaissait Joseph Banks. Peut être était il encore sur place en octobre 1780 lorsque les navires du troisième voyage revinrent et a-t-il pu acquérir rapidement des objets ?
Le problème est que les artefacts achetés arrivèrent à Florence sans aucune documentation et il fallut attendre 1802-1803 pour qu'ils soient catalogués sous le nom de Giovanni Fabroni.
Mais il existe encore d'autres objets du Pacifique et pas des moindres à Florence qui ne sont pas inscrits dans ce premier recensement. Comment sont ils arrivés au musée ?
Giglioli que nous avons évoqué pour avoir été le premier (en 1893) à émettre l'hypothèse que les objets du Pacifique du musée de Florence provenaient du troisième voyage de Cook (lire ses notes rapportées par A. Kaeppler in Cook Voyage Artifacts in Leningrad, Berne, and Florence Museums, 1978) était à l'époque vice-président de la Société anthropologique italienne.
Il avait lui même une collection de curiosités et obtint quelques artefacts des voyages de Cook par le biais d'échanges. À sa mort, celle-ci a été récupérée par le musée Pigorini de Rome.
Mais les choses se compliquent encore lorsqu'A. Kaeppler étudie entre 1969 et 1975 les objets de Rome. Certains de ces objets ne sont pas présents et elle remarque que des provenances indiquées par Giglioli sont erronées ...
Comment lui faire confiance lorsqu’il mentionne que tel ou tel objet a été collecté au cours des voyages de Cook ? Peut-être faut-il simplement reconnaître que c’était quelqu’un qui avait le sens du commerce... il a vendu, échangé...
Enfin, un dernier point vaut d’être souligné : le costume de Florence est celui qui a servi de modèle au dessin de John Webber (cf. figure ci-dessus).
Un petit mot encore sur les costumes de deuilleurs complets des collections publiques : Il existe un superbe heva conservé au British Museum (ci-dessus), mais on manque cruellement de documentation.
On pense qu’il a été collecté en mai 1774. Il a été trouvé avec une figurine en bois pour soutenir la coiffe, et il s’avère que seuls des matériaux d'origine tahitienne ont été employés pour l’obtenir, donc ce montage provient entièrement de Tahiti.
L’exemplaire du Bishop Museum (ci-dessus) quant lui, a été rapporté par le chirurgien Patten au cours du second voyage. Il était conservé à l’origine au Trinity College de Dublin.
à suivre ...
Source principale : Kaeppler A., 1978, Cook Voyage Artifacts in Leningrad, Berne, and Florence Museums, Bishop Museum Press.
Photo 1 : Vitrine avec le costume de deuilleur au museo di storia naturale de Florence, photo © Jeremy Uden.
Photo 2 : Planche des objets des îles de la Société à Florence d’après Giglioli, 1893 in Kaeppler A. 1978.
Photo 3 : Dessin du chef deuilleur de John Webber © British Library Add. Ms. 15.513.18
Photo 4 : © British Museum, 8Oc,TAH.78
Photo 5 : © Bishop museum Hawaii 1971.198.01 a-f, photo 2013 Wikimedia.