En sortie le 27 septembre 2017 sur les écrans français, le premier long métrage d’Amman Abbasi montre que le cinéma indépendant américain livre de temps en temps de belles pépites.
Amman Abbasi a grandi à Little Rock, la capitale de l’Arkansas, sa famille pakistanaise s’y étant installée lorsqu’il avait 9 ans. Il n’a pas été touché par la guerre des gangs qui concernait essentiellement de jeunes Noirs, mais avec 76 homicides comptabilisés dans la ville en 1993 selon l’Arkansas Times, il ne pouvait passer à côté du sujet. A 28 ans, musicien reconnu avec déjà un bon pied dans le cinéma indépendant américain, travaillant notamment avec David Gordon Green (George Washington), il a réalisé, monté et composé la musique de ce premier long-métrage. Il n’était pas seul pour autant : il l’a écrit et produit avec son ami Steven Reneau à partir de ce que disaient les jeunes d’ateliers organisés dans un centre de redressement pour jeunes en difficulté. Mais c’est avec les acteurs, tous non-professionnels et certains issus des Blood, le gang évoqué dans le film, qu’Abbasi a développé leurs personnages. Après quatre mois de répétitions, tout le monde était prêt à tourner.
Le résultat est fascinant. Nous sommes loin des cités, à la campagne, à Wrightsville, dans les faubourgs de Little Rock, avec Dayveon, 14 ans, dont le grand frère a été tué et dont le père est absent. Il vit chez sa sœur Kim, en couple avec Bryan. Obsédé par ces absences, l’adolescent trouve que tout est stupide et passe son temps à errer en vélo dans la nature. Ces plans aériens renforcent son innocence et s’opposent à la cruauté du milieu, engoncé dans la pauvreté et travaillé par la violence ambiante, si bien que le film joue au ping-pong entre douceur intimiste, notamment lorsque Dayveon traîne avec son copain Brayden, et rude initiation aux pratiques des gangs. En recherche de frères de substitution, mais refusant l’aide de Bryan, Dayveon va se confronter à la loi des hommes.
On retrouve ce scénario du coming of age, du passage à l’état adulte, dans nombre de films indépendants américains visibles au festival de Sundance. A cet égard, Stupid Things évoque l’expérience corporelle de l’adolescence de The Fits (cf. critique n°13770), mais aussi la métamorphose pour survivre de Moonlight (cf. critique n° 14015) sans pour autant faire appel au même type de lyrisme. Car malgré son inspiration documentaire, le lyrisme n’est pas absent de Stupid Things et parfaitement original. C’est d’abord par les quelques plages musicales envoûtantes qui évoquent celles des Bêtes du Sud sauvage (cf. critique n°11182). C’est ensuite par une voix-off qui ne s’impose pas comme chez Terence Malick mais suggère parfois l’essentiel. C’est enfin par une caméra qui cadre Dayveon dans ses moindres mouvements, épousant la vie qu’il dégage mais aussi son isolement, lorsqu’il ne saisit pas plus que nous ce qui se passe. Tourné en format 4:3, parfois même en iphone dans les scènes d’action, le film évite l’écran large pour renforcer l’effet de ghetto qu’il ressent. Dayveon est ainsi un jeune Noir désemparé comme tant d’autres, pris dans une détermination infernale. Le film n’est pas plombant pour autant, Bryan et Kim essayant de conjurer le sort. Même s’ils n’ont pas vraiment les mots, ils ont la présence et l’émotion. Comme une abeille en essaim, Dayveon s’agrippe au gang pour retrouver son frère, prêt à sortir son dard mais risquant d’y laisser la vie, comme l’abeille qui le pique dans le film. Cette récurrence de l’essaim qui fait corps, métaphore d’un destin collectif mais aussi d’une possible renaissance, ajoute à la poésie générale de ce beau film hors-normes qui prend les risques de son héros et captive de bout en bout.