Lire les grands textes religieux ce n’est pas opter pour une approche fondamentaliste, qui croirait que revenir à la lettre même serait une manière de renouer avec l’authenticité. Ce n’est pas non plus refuser la couche d’interprétations qui s’est déposée sur ces textes anciens. Ma démarche est toute autre, elle est d’une certaine manière post-religieuse. J’ai conscience avec Freud (l’avenir d’une illusion) que dans le rôle de nous soutenir moralement face à notre finitude, les religions souffrent d’un manque de crédibilité, mais ces textes sont la seule mythologie qui a encore des adeptes, et qui par l’épaisseur de son passé, de son entremêlement avec l’histoire, présente paradoxalement un grand intérêt intellectuel. On peut la lire au premier degré et hausser les épaules, on peut suivre à travers le temps ses origines et ses conséquences, et on peut la lire au second degré comme une métaphore, pleine d’enseignements.
Si l’ancien et le nouveau testament, par leur présentation chronologique, sont comme des récits, le Coran échappe à cette organisation en partie, parce qu’il est difficile de comprendre son plan, mais peut-être le but a-t-il été de ne pas présenter de récit, et de donner des phrases dont l’ordre est aussi surprenant que sa révélation initiale.
Si le hallal est devenu un commerce juteux, je suis surpris que personne ne relève que le Coran s’oppose fermement au concept de nourriture halal. Il précise que lorsque l’on mange avec les gens du livre, on doit s’abstenir de manger du porc simplement, mais que l’on peut manger tout ce qu’ils mangent. On est ainsi bien loin des entrepreneurs identitaires, et des lobbys pro-halal dans toute institution d’Etat. Il semble même que le Coran ait anticipé le risque qui se réalise aujourd’hui d’une communauté fermée, qui ne peut plus s’enrichir en mangeant avec l’autre, mais doit se résigner à une nourriture spéciale empêchant les échanges, à une sorte de repliement identitaire. Le Coran dénonce ce risque et propose une sorte de solution du vivre-ensemble, du manger-ensemble, bien avant que le terme ne soit devenu une expression bien-pensante.
Et la sourate 3-3 explique que l’ancien et le nouveau testament sont vrais. Mahomet, selon son biographe Rodinson, passait son temps avec les juifs et les chrétiens, écoutaient toutes leurs histoires, et pratiquait un vivre-ensemble, dans le plus grand respect des livres qui l’avait précédé. Cet immense respect du Coran pour ces livres qui le précédaient semble avoir été rayé de toutes les mémoires, une simple lecture des termes même du Coran ressuscite ce respect, sans le besoin d’un filtre, d’un interprétateur, d’un « herméneute ». Ce n’est pas du fondamentalisme, qui privilégierait le texte brut sur toute lecture savante, c’est la révélation d’une chose cachée depuis la fondation du monde musulman .
J’ai