Samedi après-midi, j’étais à Genève pour écouter Florence Grasset chanter des motets de Nicolas Clérambault, notamment son Miserere, avec l’Ensemble Polhymnia sous la direction de Franck Marcon à la Chapelle des Rois au célèbre cimetière de Plainpalais.
Avant ce somptueux moment donné par des interprètes qui offrent à cette musique une présence, une puissance et une clarté qui se jouent des siècles, j’ai profité de la journée de découverte de ce cimetière datant de 1482 situé dans un vaste parc en pleine ville.
Avec les parents de Florence qui m’ont gentiment véhiculé à Genève (Bernard Grasset, le père de Florence, est l’auteur de la couverture de mon livre Prairie journal), j’ai flâné par les miroitements et les ombres des grands arbres exotiques dans le dédale des sépultures aux styles souvent en rapport avec la personnalité des défunts les plus connus, le chef d’orchestre Ernest Ansermet,le compositeur Alberto Ginastera, l’écrivaine Grisélidis Réal, l’écrivain Jorge Luis Borges et bien d’autres.
En ce moment, le hasard me ramène souvent à Borges qui n’est pas toujours pour moi un écrivain facile d’accès mais à qui je trouve une particularité qu’il partage cependant avec quelques autres : je pense que Borges est de ces auteurs qui pourraient être aussi des personnages de roman. Dans sa maturité et son grand âge, il a donné des entretiens en français au cours desquels il évoque de son bel accent argentin les méandres de son œuvre avec une simplicité, une concision, une élégance et surtout un fascinant détachement. Sa tombe est toute simple, recouverte de verdure et surmontée d’une petite stèle sans prétention. Tout autour, la pelouse a disparu sous les pas des nombreux visiteurs qu’elle reçoit.
Juste avant le concert qui avait lieu en cette fin d’après-midi à la douceur estivale mais déjà nimbée des demi-teintes et parfums d’automne, un excellent buffet où l’on servait des verres de ce Chasselas dont je suis si friand était dressé sous les arbres du cimetière. Ce qui frappe en ce lieu pourtant de dernières demeures, c’est qu’on y pense plus à la vie qu’à la mort.
Pour le dîner d’après concert, une table nous attendait par chance dans les lumières et la joyeuse effervescence du Remor où je suis revenu au Chasselas puisque je ne conduisais pas.
Après quelques pas en sortant, la clarté laiteuse d’une vitrine qui devait être celle d’une galerie d’art m’a attiré devant la reproduction d’une tête posée par terre au milieu d’un vaste espace, une tête qui ne m’était pas inconnue : Borges, encore lui ! Est-ce le signe qu’un de ses livres a quelque chose de particulier à me dire en ce moment ? Je ne manquerai pas d’aller vérifier dans le fouillis qui me sert de bibliothèque.