Quand j'ai approché l’histoire de Sarah Baartman, j’ai rencontré les recherches de François-Xavier Fauvelle. Il publie ces jours-ci un livre qui prend pour sujet les Khoekhoe, un peuple dont il ne reste quasiment rien aujourd’hui (« En 1713 une épidémie de variole emporte la plus grande partie de la population khoekhoe de la région du Cap, étendue à quelque cent cinquante kilomètres dans l’arrière-pays. »). Alors, pour mener son étude, l’auteur va chercher du côté des écrits, ceux du XXe siècle, de J M Coetzee (En attendant les barbares), de Dino Buzzati (Le désert des Tartares), de Julien Gracq (Le Rivage des Syrtes). Car engager des recherches sur les Khoekhoe, c’est engager des recherches entre ici et ailleurs, entre nous et les autres. La question qui se posait aux scientifiques européens, fin XVIIIe - début XIXe siècles, était celle du polygénisme (il existe des races issues de couples différents) ou du monogénisme (toutes les races sont issues d’un seul couple, Adam et Eve). Georges Cuvier examinant Sarah Baartman conclut qu’elle est bien issue de ce couple unique mais il place les Hottentots (comme on nommait alors les Khoekhoe) « au plus bas de l’échelle constituée par l’espèce humaine ».
Puis, racontant les funérailles de Sarah Baartman le 9 août 2002, F-X. Fauvelle s’interroge sur ces traditions dont il serait sans doute bien difficile de préciser sur quoi elles reposent dans une Afrique du Sud qui sort de l’apartheid et qui se découvre des ancêtres dont plusieurs groupes se revendiquent héritiers. « Aujourd’hui, chacun est tenté de revisiter son ascendance et de piocher une meilleure carte parmi les figures de ses origines ».
L’image des Khoekhoe est passée au fil des siècles par des récits qui s’emboitent les uns dans les autres, des gravures censées représenter la réalité et souvent ne représentant que les récits souvent invérifiés. il le démontre notamment par un récit qui accompagne une gravure ayant servi de frontispice à la première édition du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Jean-Jacques Rousseau (publié en 1755), ouvrage qui parle du « bon sauvage » : le récit (un enfant ayant été éduqué par des chrétiens retourne « chez les siens » rejetant tout ce qu’il a appris hors de sa famille), prétendu reçu de source sûre est présent dans plusieurs compte-rendus de voyage, à chaque fois revendiquant sa véracité. On construit ainsi l’image de l’autre. Aujourd’hui, on appellerait cela des fake…
À la fin de son livre, François-Xavier Fauvelle exhume un « impossible carnet de terrain » dans lequel il tente de retrouver les Khoekhoe en 1670 (cent ans environ avant la naissance de Sarah Baartman) dans un kraal, un campement où s’organisait la vie de ces gens à qui on voudrait poser mille questions.