Lire c'est penser, réfléchir, parler à un ami, l'écouter, l'entendre, le comprendre (ou pas), s'immiscer dans une réalité qui n'est pas la nôtre, c'est oser, braver ses préjugés, découvrir un nouvel angle sur les choses, sur la vie, sur les autres, sur soi-même. C'est prêter oreille à des confessions, des fantasmes, c'est avoir l'oeil et la tête sur de nouvelles idées, se prêter à un nouveau regard. C'est généreux, si on le veut. Générateur aussi. C'est forger ses propres idées, les confronter, c'est écouter une musique, un rythme, en développer des nouveaux. C'est découvrir l'écho des moeurs qui ne seront parfois jamais les nôtres. Lire c'est explorer sous une nouvelle lumière, c'est s'ouvrir les sens et s'agrandir les corridors mentaux. C'est se balader sur la plage du monde entier qui le compose. C'est danser sur le cerveau d'un(e) autre. C'est apprendre la vie par les yeux et les mots. Par le moteur de la pensée redessinée. C'est un regard, une inspiration, un souffle.
Lire c'est visiter la vie des autres et souvent la nôtre aussi.
Lire c'est un peu beaucoup mon métier. Pour moi, c'est tout simplement mieux respirer.
LES CHRONIQUES DU PLATEAU MONT-ROYAL de MICHEL TREMBLAY.
Une brique.
Je connaissais Des Nouvelles d'Édouard, que j'avais non seulement en copie toute seule, de poche, mais que j'avais tant aimé, qui m'avait tant fait rire, (encore plus quand j'ai moi-même commencé à faire des croisières) que je l'avais adapté en scénario pour le cinéma. J'ai encore tout ça dans mon sous-sol magique et souhaite de la proposer un jour à Antoine Bertrand qui serait formidable dans le rôle.
Ayant moi-même habité le plateau, y ayant trouvé mon oasis, y ayant tricoté un fils et rêvant de retourner y habiter un jour, Les Chroniques... ne pouvaient que me plaire.
Les Chroniques du Plateau Mont-Royal regroupe 6 livres de Michel Tremblay écrit sur 20 ans, entre 1978 et 1997. Vous aurez compris que toutes les histoires se déroulent sur le plateau Mont-Royal, avec des personnages qui se recoupent, et l'univers de Michel Tremblay qui lui est si cher.
Les Chroniques comprennent:
-La Grosse Femme d'à Côté est Enceinte (1978)
-Thérèse et Pierrette à l'École de Saints-Anges (1981)
-La Duchesse et le Roturier (1982)
-Des Nouvelles D'Édouard (1984)
-Le Premier Quartier de la Lune (1989)
-Un Objet de Beauté (1997)
La Grosse Femme...raconte l'action du 2 mai 1942 autour de la grosse femme enceinte, la conjointe de Gabriel, fils de Victoire et frère d'Albertine (qui elle est mère de Marcel et de Thérèse) et d'Édouard, vendeur de chaussure obèse dans un quartier populaire du plateau Mont-Royal. Les prostituées Mercedes et Béatrice côtoient ses gens, tout comme la marchande voisine dont le chat se nomme Duplessis. Trois mystérieux personnages de femmes tricotant en paraissant vieillir sur la destinée de tous ces gens ajoute un réalisme magique assez fascinant. Le roman est un somptueux portrait de la société prolétaire de Montréal dans les années 40. À lui seul, cette seule "chronique" vaut tout le reste.
La Duchesse et le Roturier nous place cette fois en 1947, dans un univers particulièrement rigoureux. Édouard tente d'échapper à son monde de vendeur de soulier, de vivre son homosexualité librement et de vivre de ses imitations d'actrices et de chanteuses populaires. Pendant ce temps, rue Fabre, Marcel, fils d'Albertine a l'imagination qui fleurit. Les personnages de Tremblay se mèlent aux Juliette Pétrie, La Poune et autres Denis Drouin de l'époque pour offrir un portrait vivant de la colonie artistique de l'époque. Compassion et humanité pour des marginaux dotés d'une grande imagination. Comme dans tous les titres précédents, les rêves, la différence, la solitude et la famille sont les thèmes principaux sur lesquels reposent les récits.
Des Nouvelles D'Édouard est un bijou. Tragi-comédie aussi désopilante que crève-coeur, la grande duchesse de Langeais ne régnera plus sur la main. Mais on met la main sur le journal personnel d'Edouard racontant son voyage à Paris, en croisière, en 1947. C'est à sa belle-soeur, la grosse femme, qu'il destine son journal, mais devant tant d'émotions fortes, tant de beautés et d'éblouissements, la solitude pèse bien lourd sur les épaules de la pathétique et désopilante duchesse. Fameux livre qui ferait un fameux film.
Mars 1963 à Montréal est le cadre de Un Objet de Beauté alors que l'hiver donne ses derniers assauts. Marcel, et son cerveau d'enfant de 23 ans, apprend que sa tante Nana (la grosse femme) est atteinte d'une grave maladie et que ses jours sont comptés. Comment cet enfant, habité par des visions fantasmiques qui le confronte au monde réel en tout temps dans une lutte dérisoire et perpétuelle, réagit-il à cette déchirante fatalité?
Si les pièces de théâtre de Tremblay sont les poumons de son oeuvre, Les Chroniques... en sont le coeur. Ne serais-ce que pour les 4 premiers livres, plus riches, et calibrés en terme d'humour, de grotesque et de pathétique, que les deux derniers, plus axés sur le réalisme magique.
Si vous ne connaissez pas Michel Tremblay et n'avez qu'une seule oeuvre à vous taper, je vous suggère cette brique de 2000 pages.
Mais peut-être seulement les 779 première pages...