Lors d'une lecture se produit parfois une alchimie troublante pour l'auditeur, résultant d'un effet de résonance de l'intimité du poème par celle de la voix qui énonce. Cette zone mystérieuse se perçoit plus particulièrement lorsque le récital est donné en une langue étrangère. Nous approcherions davantage cette intimité. Au reste, qui n'a jamais vu un gros plan photographique de nos cordes vocales en exercice ignore jusqu'où la voix exprime notre partie intime. Il faut bien l'admettre : rien ne ressemble plus à un sexe féminin que notre gorge en train de dire.
Il se passe généralement « quelque chose » lors d'une lecture. Dans la présence d'un être surgissant la voix annonce, elle recommence par cet hors-de-soi sans colère, pour qu'un retour-né s'opère, et doublement : en renversant au dehors, vers l'auditoire – c'est-à-dire dans le partage collectif – un texte souvent conçu depuis la seule oreille interne, muet, déconnecté de la parole ; en oralisant, en amplifiant cette « musique intérieure », qui n'a du reste rien de musical. Sans perdre de vue que même les murs ont des oreilles. C'est-à-dire que de l'estrade, l'auteur ne s'adresse pas au public, mais à l'auditoire dans un espace.
Il s'agirait d'extraire autant qu'abstraire du dedans du corps, ce pré-état inhérent à ce que l'auteur recherche en écrivant, pour le retourner tel un gant, pour que la poche d'air s'ouvre aux autres.
Patrick Beurard Valdoye, Le vocaluscrit, éditions Lanskine, 2017, 100 p., 14€, p.92.