Albert Gleizes, Jean Metzinger : Du Cubisme (mais pas que)

Publié le 22 septembre 2017 par Jigece

C’est en 1910 que les deux futurs auteurs de Du "Cubisme" se rencontrent par l’intermédiaire de l’écrivain Alexandre Mercereau. Albert Gleizes et Jean Metzinger fréquentent bientôt l’atelier d’Henri Le Fauconnier où se retrouvent notamment les peintres Robert Delaunay et Fernand Léger. Les cinq artistes, auxquels s’ajoute Marie Laurencin, parviennent à exposer de façon groupée au salon des Indépendants de 1911. Réunies dans la salle 41, restée fameuse, leurs oeuvres, d’un style pourtant moins radical que celui élaboré depuis 1907 par Braque et Picasso dans le secret de leurs ateliers, révèlent le cubisme au grand public et provoquent un retentissant scandale. Désormais célèbres, Gleizes et Metzinger comptent parmi les exposants cubistes dont les envois sont les plus remarqués aux salons suivants, où Braque et Picasso, montrés avec parcimonie par la galerie de Daniel-Henry Kahnweiler, continuent à ne pas paraître.
À la différence de leurs confrères, Gleizes et Metzinger n’hésitent pas à prendre la plume pour défendre leur conception du cubisme face à une critique souvent hostile. Metzinger, qui avait déjà à son actif une « Note sur la peinture » (octobre-novembre 1910), où il disait son admiration pour Braque et Picasso rencontrés au Bateau-Lavoir, fait paraître le 16 août 1911 dans Paris-Journal un article intitulé « Cubisme et Tradition ». En septembre de la même année, Gleizes publie un article sur Metzinger dans La Revue indépendante, suivi d’un compte-rendu du salon d’Automne dans un numéro des Bandeaux d’Or paru en novembre. Il défend « Le Cubisme devant les Artistes » dans Les Annales politiques et littéraires du 1er décembre 1912. L’écriture conjointe de Du "Cubisme" intervient à l’issue d’une « sorte de rodage » intellectuel et amical au cours duquel les deux hommes parviennent à surmonter leurs divergences. Si le livre reprend certaines idées développées dans leurs articles antérieurs (le manuscrit ayant disparu durant la Seconde guerre mondiale, les apports respectifs des deux auteurs ne peuvent donner lieu qu’à des conjectures), il reflète sans doute aussi les échanges entre artistes, qui ont lieu dans l’atelier de Gleizes à Courbevoie ou dans celui de Jacques Villon à Puteaux, auxquels tous deux participent.
La parution de Du "Cubisme" fut sans doute envisagée par Gleizes et Metzinger pour accompagner le Salon de la Section d’Or (galerie La Boétie, 10-30 octobre 1912). Tous deux devaient y exposer des ensembles particulièrement développés, Gleizes révélant notamment à cette occasion son monumental Dépiquage des moissons et Metzinger sa Plume jaune et son portrait de Gleizes. Cependant les premiers exemplaires du livre ne sortent des éditions Eugène Figuière que dix jours avant la fermeture du salon. En novembre, le cinquième chapitre de Du "Cubisme" est publié dans le premier numéro de la revue d’Henri-Martin Barzun, Poème et Drame. Les guillemets utilisés montrent que les auteurs manipulent encore avec prudence un mot nouveau, d’ailleurs imposé non par les artistes eux-mêmes, mais par une critique plutôt malveillante.
Auréolé du titre de premier ouvrage consacré au mouvement, Du "Cubisme" est divisé en cinq chapitres qui constituent moins un manifeste qu’une sorte de vade mecum à l’usage des artistes désireux de s’initier à un mode de représentation radicalement novateur, sans toutefois se détourner de la tradition française. Livre de peintres, à la différence des Méditations esthétiques d’Apollinaire (vu par Gleizes comme l’un de ces « intermédiaires littéraires qui, aussi bien intentionnés fussent-ils, n’apportaient au débat que des vues subjectives »), Du "Cubisme" doit davantage être comparé à celui de Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme (1899). Après avoir évoqué l’apport des grands prédécesseurs que sont Courbet, Manet, les Impressionnistes et Cézanne (chapitre I), les auteurs émettent des préconisations ayant trait à la forme (chapitre II), à la couleur (chapitre III) et à la composition du tableau (chapitre IV) avant de conclure sur un rappel de la prééminence du « Goût », réservé à une élite (chapitre V). Le cubisme s’y affirme comme « réalisation intégrale de la Peinture » qui « condamne tous les systèmes » et confère « une liberté indéfinie ».
Contrairement à Apollinaire qui propose une typologie du cubisme, Gleizes et Metzinger restent sur un plan général et ne mentionnent aucun de leur confrère (significativement le seul peintre vivant cité dans l’ouvrage est Signac, qui influença Metzinger entre 1904 et 1907). Seules les nombreuses illustrations de la seconde partie de l’ouvrage permettent au lecteur de 1912 d’identifier les « peintres cubistes », terme collectif utilisé à plusieurs reprises par les auteurs. Ces images, qui ont dû jouer un rôle au moins aussi important que le texte de Gleizes et Metzinger dans la diffusion de l’esthétique cubiste, reproduisent des oeuvres des exposants de la « salle 41 » de 1911 (à l’exception de Delaunay et de Le Fauconnier qui, pour des raisons restées obscures, ont refusé d’y figurer), ainsi que de certains exposants de la Section d’Or (Duchamp, Gris et Picabia), mais aussi de Braque, Derain et Picasso qui n’y participaient pas. Un portrait de Cézanne, figure tutélaire, introduit l’ensemble.

Albert Gleizes

Albert Gleizes (Paris, 1881 – Avignon, 1953) est un peintre, dessinateur, graveur et théoricien né à Paris. L’artiste est considéré comme un autodidacte bien qu’il soit le neveux du portraitiste Léon Comerre (1850-1916). Il est l’un des membres fondateurs de la « Section d’Or » et membre de Der Sturm. Il participe au groupe dit de l’Abbaye de Créteil (1907-1908). Ses idées ont influencé les recherches du Bauhaus ainsi que, suite au séjour qu’il fait à New York après sa démobilisation de 1915 à 1919, l’art moderne américain. Il est l’un des fondateur d’Abstraction-Création qu’il a dirigé. Il a aussi fondé la communauté artistique de Moly Sabata.
Outre « Du Cubisme » il a écrit un certain nombre d’ouvrages autour de la peinture.
Il s’intéresse d’abord aux impressionnistes puis à l’œuvre de Paul Cézanne. Il expose dans la galerie de Léonce Rosenberg. Il existe une Fondation Gleizes et le Musée Estrine de Saint-Rémy de Provence, où il a vécu de 1939 à 1954, consacre deux salles à son œuvre.

Jean Metzinger

Jean Metzinger (Nantes, 1883 – Paris, 1956) est un peintre, théoricien et critique d’art né à Nantes. Il commence sa formation à l’Académie des Beaux-Arts de Nantes. Il s’installe à Paris en 1903.
Il est influencé par les courants artistiques du moment, le néo-impressionnisme et le divisionnisme ainsi que le fauvisme et aussi par Paul Cézanne puis par ce qui allait devenir le cubisme. Dès son arrivée à Paris, il participe au Salon d’Automne, expose avec Raoul Dufy dans la galerie de Berthe Weill chez qui il exposera 4 fois avec Robert Delaunay puis André Derain, Fernand Léger et Pablo Picasso ou encore Georges Rouault et Kees van Dongen. Il fréquente le Bateau-Lavoir. Il est lui aussi membre fondateur de la « Section d’Or » et adepte de l’Abbaye de Créteil.

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