A. Fosset dans la Revue d'Allemagne et des pays de langue allemande du 15 janvier 1933 (pp. 277-278) évoque plus longuement dans ses Chroniques la conférence de Thomas Mann au Théâtre des Ambassadeurs:
"THOMAS MANN a parlé au Théâtre des Ambassadeurs de la Grandeur et des Souffrances de RICHARD WAGNER
" Votre musique, disait à Wagner un peintre, son ami, c'est une carriole en route vers le ciel ". Cette carriole a maintenant les allures victorieuses d'un char de triotmiphe, et de cette apothéose Thomas Mann est bien un peu l'auteur, car ce fut, il l'avoue lui-même, son oeuvre de jeunesse de défendre Richard Wagner. Et à l'entendre samedi dévoiler devant un public de musiciens, d'artistes, de lettrés, de gens du monde, la véritable figuire de Wagner, j'ai cru saisir ce qu'un tel homme a pu mettre d'ardeur dans cette tâche. Pour comprendre l'oeuvre de Wagner dans ses origines, dans sa réalisation, dans son influence, il faut, et pour cela quel excellent guide que Thomas Mann, s'élever au-dessus des frontières et des générations. Elle a ses origines dans l'antique tragédie grecque, celle de Sophocle, d'Eschyle, d'Euripide, où elle puise son inspiration mythologique ; elle a ses racines immédiates dans le romantisme allemand ; et son influence domine toute la production musicale, littéraire et artistique de la fin du XIXe siècle et s'accentue de jour en jour. Elle est dans le domaine musical ce que fut dans le domaine littéraire l'oeuvre de Balzac, de Zola, de Tolstoï, dans le domaine philosophique la production de Nietzche et de Sigmund Freud. Elle possède en plus ce caractère puissant, formidable, fantastique, qui fait que pour l'évoquer, on ne peut imaginer qu'une fresque de Michel-Ange.
De tous ces révolutionnaires, chacun dans son domaine, Wagner fut certainement le plus handicapé. Ses débuts furent très laborieux et les premières tentatives de représentation catastrophiques. N'imaginez pas Wagner s'installant à son clavier et composant sous l'influence d'une fougueuse inspiration ses partitions d'opéra. Il dut se livrer au contraire à une élaboration pénible ; à certains moments il ne pouvait rien tirer de lui-même et il restait si vide qu'il écrivait un jour à Liszt : " J'en suis à me demander si vraiment j'ai quelque chose dans le ventre ".
Tempérament maladif, constamment torturé par la souffrance physique et morale, Wagner était obligé de restreindre la durée de son travail à deux heures par jour. C'est, d'ailleurs cette souffrance constante qui constitue en lui l'artiste. " L'artiste a absorbe en moi tout l'homme ", écrit-il encore à Liszt. La fusion du style et de l'homme, voilà bien le principe de toute oeuvre d'artiste. Et l'opéra de Wagner où cette fusion atteint la perfection, est sans contredit Parsifal.
La production musicale de Wagner relèveà laefois de la poésie, du drame, de la psychologie, de la mystique chrétienne, de l'histoire, du mythe ; c'est la synthèse fantastique de tout cela. " Ce n'est plus de la musique ", disait un chef d'orchestre de Bayreuth, sortant de diriger Lohengrin- Non, ce n'est plus de la musique pure, c'est la passion, la terreur le plaisir, le meurtre, le vice, la joie, la mort, c'est l'humanité en un mot et c'est inouï, au sens exact du drame".
Voilà bien pourquoi son influence ne fait que grandir. C'est lui qui ouvrit à Baudelaire le monde de l'harmonie et son souffle puissant anime " Les Fleurs du mal ". Son fantôme se devine encore chez Barrés <s Du sang, de la volupté, de la mort ". Et Thomas Mann disait avec une nuance de mélancolie " Barrès fut peut-être en France le premier Wagnérien, quoique nationaliste ".
Baudelaire écrivait à un jeune journaliste allemand : " Vous servirez la cause de celui que l'avenir sacrera le premier des maîtres ". La cause fut bien servie, et l'oeuvre de votre jeunesse, ô Thomas Mann, a porté ses fruits. Nous n'en voulons pour gage que l'enthousiasme du public qui samedi aux Ambassadeurs vous réclama quatre fois pour saluer par des applaudissements vigoureux et répétés le meilleur défenseur de cette cause.
"[...]Une conférence de M. Thomas Mann [...]
C'est sous les auspices du Pen-Club que M. Thomas Mann a parlé de Richard Wagner, s'attachant à situer dans son époque le génie du maître de Bayreuth, " un complexe dans lequel s'ajoute à la musique le besoin de créer des mythes, le goût et le sens de la psychologie, et qui force à admettre cette constatation : qu'il se compose de dilettantismes divers ". Le succès fait, à cette brillante conférence alla aussi à ce grand écrivain, artisan persévérant du rapprochement franco-allemand et dont M. Louis Piérard, président du Pen-Club salua l'idéal européen. [...]"
Le 24 février, Le Ménestrel évoque la soirée amstellodamoise:
A Amsterdam, représentations de Parsifal organisées par la Société Wagner avec les choeurs de la Société et l'orchestre du Concertgebouw, le tout sous la direction de M. Erich Kleiber.
- Au Concertgebouw a eu lieu, le 13 février, un concert consacré aux oeuvres de Richard Wagner. M. Thomas Mann a lu un discours commémoratif ; ce concert et deux autres, également dirigés par M. Erich Kleiber et au cours desquels se sont fait entendre MM. Alexandre Kipnis et Jacques Urlus, étaient donnés, ainsi que les représentations de Parsifal pour célébrer le cinquantième anniversaire de la mort du maître. A La Haye ce cinquantenaire a été commémoré par une représentation de la Walkyrie."
Référence bibliographique
Richard Wagner. Vortrag (1933) Edition und Dokumentation. Herausgegeben von Egon Voss und Dirk Heißerer. Thomas-Mann-Schriftenreihe, Fundstücke, Bd. 7, Königshausen & Neumann, 2017.