Ouvrage après ouvrage (il est désormais l’auteur d’une bonne trentaine d’ouvrages, romans, pièces de théâtre, nouvelles, textes poétiques...), Eric Pessan bouscule les consciences des jeunes lecteurs (ce roman s’adresse aux plus de 15 ans), et celles de leurs parents qui ont grand intérêt à le lire. Pour preuve un éditeur de romans pour adultes a reproché à l’auteur de ne pas lui avoir confié le manuscrit d’un de ses ouvrages.
Après la question de la culpabilité (Plus haut que les oiseaux), celle de la vie quand on est sans papiers (Aussi loin que possible), le racket et le harcèlement scolaire ( La plus grande peur de ma vie) il poursuit avec un roman où la fiction s’appuie davantage sur la réalité.
Lorsque Julie plonge dans le sommeil, son monde bascule. L’adolescente se retrouve dans la forêt de l’île japonaise de Hokkaido, reliée physiquement à un petit garçon de sept ans. Abandonné par ses parents, il erre seul, terrifié, et risque de mourir de froid, de soif et de faim. Quel est le lien entre Julie et cet enfant qui est peut-être perdu ?
Quand Eric Pessan se met à écrire, il choisit comme personnage principal un des habitants d’une tour devenue imaginaire, mais qui lui a été inspirée par un immeuble de dix-huit étages, situé à Saint-Herblain, près de Nantes. Il était alors directeur d’antenne d’une radio associative dont l’émetteur était installé sur le toit terrasse.
Julie est la sœur de Thomas, le garçon qui est au cœur de Plus haut que les oiseaux. Ses parents ont une forte conscience politique, très impliqués dans l'accueil de migrants, et elle était comme prédestinée pour incarner l’héroïne de ce dernier livre.
Ce qui est nouveau, c’est le basculement dans le fantastique comme la forêt de la couverture le laisse deviner : Jamais un rêve n'a été aussi réel, jamais les branches des arbres n'ont comporté autant de feuilles, jamais les nuances de vert n'ont été aussi nombreuses, jamais la fraîcheur n'a été aussi mordante. Dans un rêve, les choses sont faites d'un seul bloc. On a froid et le froid est un tout, pas un engourdissement progressif des mains, une humidité qui saisit le visage, qui traverse les chaussures trop légères, qui mord les pieds avant de geler les orteils puis de paralyser les mollets... (p.21)
Nuit après nuit, la jeune fille rêve qu'elle est un petit garçon japonais perdu dans une forêt. Dans la journée, le monde ne s'arrête pas de tourner et Julie tente de vivre normalement. Elle comprend que son rêve n’est pas anodin quand elle apprend qu’un enfant de sept ans a bel et bien été abandonné par ses parents dans la forêt de Hokkaido dont elle découvre que c’est un milieu très hostile, infesté d’ours.
Eric Pessan s’est inspiré d’un fait réel dont le dénouement a été heureux. S’agissant de littérature jeunesse l’obligation est d’ailleurs que quelque chose de très positif intervienne dans le récit. Il a été stupéfait que des parents puissent ainsi abandonner leur enfant, comme on se débarrasserait d’un encombrant, ou comme aveu d’une incapacité à gérer une situation qui les dépasse.
L’auteur ne s’appesantit pas sur la psychologie des parents (qui seront contraints à faire des excuses publiques à leur enfant devant des caméras de télévision). Il se focalise sur les émotions de Julie, ce qui permet une écriture plus romanesque, à la limite du roman noir ou du genre policier. Le lecteur, quel que soit son âge, est happé par l’histoire et ressent, lui aussi, une infinie compassion pour le petit japonais. On se demande si cet évènement est exceptionnel ou s’il annonce une dérive qui serait possible un jour en France … car tout le monde n’a pas la chance d’être relié à une jeune fille dotée de super-pouvoirs comme Julie.
Dans la forêt de Hokkaido d'Eric Pessan à l'Ecole des loisirs, collection Médium, en librairie depuis le 30 août 2017