" Je crois que l'erreur est dans le fait que pendant quarante ans, on n'ait jamais vraiment saisi notre peuple sur des choix européens, de telle sorte que peu à peu, ce problème a été traité entre spécialistes, diplomates. (...) Chacun a estimé que l'Europe était suffisamment connue et c'est une erreur d'appréciation. On voit bien au moment où, pour la première fois, on s'adresse véritablement au peuple pour qu'il décide, on lui donne, on lui restitue son pouvoir, on s'aperçoit qu'il y a un travail pédagogique d'éducation, d'explication considérable à faire, parce qu'on a pris trop de retard. Espérons qu'on le comblera. (...) Aujourd'hui, dans la plupart des quartiers, des communes, partout en France, on discute de l'Europe. C'est la première fois ! " (François Mitterrand, le 3 septembre 1992 sur TF1). Première partie.
Petit anniversaire essentiel en ces temps maussades : il y a exactement vingt-cinq ans, le 20 septembre 1992, le Traité de Maastricht a été approuvé par référendum par le peuple français. Le résultat était plus serré que prévu, mais est resté positif.
Rappelons rapidement ce qu'est le Traité de Maastricht. À l'époque, il n'y avait que douze membres de ce qui s'appelait encore la Communauté Économique Européenne (CEE). Après un accord sur le fond le 10 décembre 1991 au Conseil Européen de Maastricht, le traité fut formellement signé le 7 février 1992, toujours à Maastricht, ville frontalière des Pays-Bas au nord de Liège. Après la ratification de tous les pays, le traité est entré en application le 1 er novembre 1993.
Que contient l'accord ? Principalement, et c'est une étape historique de la construction européenne, l'instauration d'une monnaie européenne unique. Unique et pas commune. Depuis une douzaine d'années, les taux de change des monnaies européennes étaient encadrés par ce qu'on appelait le Serpent monétaire européenne (SME) qui était un système pour ne pas faire des dévaluations ou réévaluations trop fortes.
L'instauration de la monnaie unique, c'était plus qu'encadrer, c'était carrément figer définitivement le taux de change des monnaies qui fusionneraient. Ce fut une étape audacieuse et politiquement historique. Le taux a été fixé le 1 er janvier 1999 et la monnaie matériellement est utilisée par tous les citoyens européens à partir du 1 er janvier 2002. La monnaie s'est appelée "euro" au lieu de "ECU" (European currency unit) sur une demande de l'Allemagne. La CEE s'est alors transformée en "Union Européenne".
L'accord a été initié par la France et l'Allemagne. La France qui avait une habitude séculaire de financer ses déficits publics en dévaluant sa monnaie et l'Allemagne qui avait une monnaie forte, propre à un pays industriel prospère (même si la Réunification a plombé pendant une dizaine d'années l'économie allemande). L'Allemagne avait évidemment le plus à perdre dans cette affaire avec l'abandon du Deutsch Mark.
L'accord s'est donc fait sur une base politique entre François Mitterrand et Helmut Kohl, sous la supervision de Jacques Delors, alors Président de la Commission Européenne : accord pour la Réunification rapide mais acceptation d'une monnaie européenne unique. En contrepartie : installation du siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort (la capitale économique de l'Allemagne) et obligation pour chaque pays adhérent de respecter le Pacte de stabilité qui correspond à une limitation du déficit public à 3% du PIB. Comme l'a prouvé la crise grecque de la dette souveraine, s'il n'y a pas une harmonisation des politiques budgétaires des pays utilisant la même monnaie, il peut y avoir des graves dysfonctionnements. C'est d'ailleurs une affaire toujours inachevée car l'euro mériterait une véritable gouvernance économique de la zone euro (gouvernance démocratique bien sûr).
Le Chancelier allemand Helmut Kohl l'a d'ailleurs confié ceci le 3 septembre 1992 sur TF1 : " Le moment décisif, c'est lorsque l'unité allemande est devenue possible, en 1989, et à ce moment-là, il ne s'agissait plus de rester, de nous figer en Allemagne, dans cette Allemagne réunifiée, c'était évidemment une chance pour nous. Nous avons voulu dire que l'unité allemande et l'unité européenne sont les deux faces d'une même médaille, c'est le couronnement de l'amitié franco-allemande, c'est le couronnement d'un processus historique. C'est pourquoi ce jour, cette semaine, ou ce mois qui a consacré l'unité allemande en 1989 et qui a abouti en 1990, a débouché sur le Traité de Maastricht et sa ratification. ".
Et de rassurer ceux qui craignaient une "Europe allemande" : " La France a une histoire, une grande histoire, une histoire ancienne, la France a contribué largement à la culture de l'Europe, du monde entier. Pourquoi voulez-vous soudain que la France fasse des complexes d'infériorité ? Au contraire, nous allons pouvoir nous compléter les uns, les autres, nous allons en tirer mutuellement bénéfice. ".
Helmut Kohl a aussi su se montrer très fin politiquement en répondant à ceux des Français qui ne voulaient pas que l'Allemagne donnât des recommandations sur leur vote au référendum : " La France, les Français sont nos amis. Alors, si à une heure historique, nos amis français se prononcent sur une question qui engage l'avenir de l'amitié franco-allemande, fondamentale pour toute notre amitié, tout notre avenir commun, à ce moment-là, ce n'est pas s'immiscer, ce n'est pas s'ingérer dans vos affaires si un ami de votre pays donne son conseil, et je n'irai pas plus loin. J'ai été très heureux, au cours d'un moment difficile de l'histoire allemande qui a été très important pour la France, lorsqu'en 1983, il s'est agi de stabiliser la capacité de défense occidentale contre le régime soviétique de l'époque et que le Président François Mitterrand a pris la parole chez nous, devant notre Parlement : nous n'y avons pas vu une ingérence. Il a été le porte-parole de la France, il a dit : nous, Français, nous conseillons de rester ensemble pour défendre ensemble notre liberté. (...) Il faut qu'en France, chacun sache bien, et ce n'est pas une ingérence, il faut que chaque citoyen, chaque citoyenne de votre pays sache bien que le 20 septembre, on décidera d'une partie d'avenir commun. Il y a un certain nombre de moments du destin d'une nation, du destin de l'Europe, et ce 20 septembre est une de ces heures essentielles du destin et le conseil d'un ami est : sachez saisir la chance ; il faut que les Français et les Allemands sachent ensemble, en tant qu'Européens, décider de leur avenir. " (3 septembre 1992).
Le contexte international était très nouveau : chute du mur de Berlin, Réunification allemande, effondrement de l'Union Soviétique, début de la guerre civile en Yougoslavie (François Mitterrand a même effectué une visite improvisée à Sarajevo les 27 et 28 juin 1992), etc.
Un enseignant, Martial Berthot, sur son site pédagogique, s'est amusé à publier le dessin humoristique de Tom Toles dans "Buffalo News" qui montrait à quel point les États-Unis pouvaient craindre d'une Europe forte et unie face à une Fédération de Russie prête à s'émietter (le dessin oublie juste la péninsule grecque et la Turquie !).
Les considérations politiciennes n'étaient cependant pas absentes de la campagne référendaire sur l'Europe. Ce sera l'objet de mon prochain article.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 septembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le Traité de Maastricht.
Le débat François Mitterrand vs Philippe Séguin le 3 septembre 1992.
Helmut Kohl, le grand Européen.
Simone Veil l'Européenne.
Le Traité de Rome.
Justin Trudeau à Strasbourg (16 février 2017).
Le pape François à Strasbourg (25 novembre 2014).
L'Europe n'est pas un marché.
Davos.
Le Traité de Vienne.
Fêter l'Europe.
Le projet Erasmus.
L'élection du Président du Parlement Européen le 17 janvier 2017.
La "déclaration d'amour" de Barack Obama à l'Europe.
La "déclaration d'amour" de Jean Gabin à l'Europe.
La "déclaration d'amour" de Winston Churchill à l'Europe.
Jean-Claude Juncker.
José Manuel Barroso.
Le Brexit.
Le souverainisme, c'est le déclinisme !
Peuple et populismes.
Le défi des réfugiés.
Les Français sont-ils vraiment eurosceptiques ?
Le Traité constitutionnel européen.
Victor Hugo l'Européen.
La crise grecque.
Monde multipolaire.
Tournant historique pour l'euro.
La transition polonaise.
La libération d'une partie de l'Europe.
La parlementarisation des institutions européennes.
Le Traité de Lisbonne et la démocratie.
La France des Bisounours à l'assaut de l'Europe.
Faut-il avoir peur du Traité transatlantique ?
Le monde ne nous attend pas !
L'Europe des Vingt-huit.
La construction européenne.
L'Union Européenne, c'est la paix.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170920-traite-maastricht-europe.html