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Germaine Beaumont

Publié le 28 juin 2008 par Porky
 DU COTE D’OU VIENDRA LE JOUR

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Germaine Beaumont : voilà un nom qui ne vous dit peut-être rien, ou pas grand-chose. Pour les plus âgés d’entre nous, peut-être est-ce un vague rappel de la TSF d’autrefois, quand, le mardi soir, dans les années 50 et 60, passait une émission intitulée Les Maîtres du mystère, signée Germaine Beaumont…

Je l’avoue humblement : seul ce souvenir d’elle me restait. J’ignorais qu’elle avait écrit des romans, des nouvelles, qu’elle avait été journaliste, avait fréquenté les salons littéraires parisiens dans l’entre-deux guerres et après la seconde guerre mondiale, que sa carrière s’était poursuivie jusque dans les années 80, 1981 plus exactement, année de la parution de son dernier roman Une odeur de trèfle blanc. J’ignorais qu’elle avait été une lectrice passionnée des sœurs Brontë, de Virginia Woolf, qu’elle avait acquis ses galons de journaliste au Matin, sous la férule impitoyable de la grande Colette elle-même. J’ignorais enfin que j’allais un jour découvrir son univers, m’y plonger avec délices et en ressortir ébloui, et peut-être plus vraiment le même qu’auparavant.

Une partie de son œuvre vient d’être rééditée dans la collection Omnibus, en deux volumes : le premier s’intitule Des Maisons, des mystères et regroupe trois romans : La Harpe irlandaise, Les Clefs et Agnès de rien. Le second volume a pour titre général Des familles, des secrets : il contient deux romans, Du côté d’où viendra le jour (titre magnifique à mon humble avis) et La Roue d’infortune ainsi qu’un recueil de nouvelles, L’Enfant du lendemain.

Colette définissait les trois romans contenus dans le premier volume comme « des romans policiers sans police ». En fait, il s’agit plutôt de « romans de famille », dans lesquels les femmes tiennent le premier rôle. Secrets hideux à découvrir, squelettes dans les placards, drames du passé, soigneusement enfouis dans les mémoires et qui ressurgissent à la faveur d’un présent que les héroïnes  subissent plus qu’elles ne maîtrisent… Il suffit de trois fois rien pour que l’ordre des choses soit bouleversé : Une sorte de « vision » perçue par Laura dans La Harpe irlandaise ; l’allure énigmatique et détachée du monde de Frédérique dans Les Clefs ainsi que son étrange faculté à voir dans l'obscurité ; la faiblesse et la naïveté d’Agnès dans Agnès de Rien. Dans chaque roman, ce sont les pierres, les meubles, les jardins, les maisons qui chuchotent, témoins, gardiens de ces tragédies enfouies. Face à ces femmes solitaires, il y a les autres, les mesquins, les petits, les envieux : tout un monde d'étroitesse et de cupidité qui s'acharne à les empêcher de trouver la lumière.

La force des romans de Germaine Beaumont, ce n’est pas seulement l’intrigue, qui souvent passe au second plan : c’est la description des lieux, toujours liés d’une façon ou d’une autre au destin des héroïnes, c’est l’atmosphère délétère, voire maléfique, qui plane sur les maisons ; c’est la lente et prodigieuse descente au fond de l’âme humaine et plus précisément de l’âme féminine, c’est l’observation minutieuse de tous ces petits riens qui composent les grands drames. A ce titre, Du côté d’où viendra le jour, s’il n’est pas le roman le plus représentatif du talent de Germaine Beaumont, est sans aucun doute celui qui vous hante le plus longtemps.

Ce roman est compris dans le second volume, Des familles, des secrets : cette fois, il n’y a plus de « roman policier » qui tienne. Plus d’énigmes à résoudre, de drames oubliés à découvrir. Ce sont des histoires simples, celles de femmes d’un autre temps, d’une autre époque, ensevelies dans le silence et l’obéissance à leur famille, écrasées par un milieu qui les retient prisonnières, tant physiquement que moralement. Elles essaient de trouver tant bien que mal un remède à leurs maux : ce sera la révélation divine pour Armande dans Du côté d’où viendra le jour et le meurtre, puis le rachat par la mort pour Nellie dans La Roue d’infortune.

Du côté d’où viendra le jour ouvre ce volume et le titre ne prend sa signification qu’à la dernière ligne du roman. Voici ce qu’en dit Hélène Fau, qui a signé la postface du second tome :

« Le premier de ces textes, Du côté d'où viendra le jour a été écrit pendant la guerre, en 1941, et publié l'année suivante. Il porte en lui l'écho des inquiétudes et des doutes de son auteur, perméable à l'air de son temps mais constitue aussi une expérience créatrice inédite dont Germaine Beaumont conservera longtemps Ie souvenir doux-amer. Alors qu'elle est lancée dans la rédaction de ce huitième roman, elle doit subitement s'arrêter, en proie à une véritable crise d’inspiration. « Le livre se fermait devant moi, sans horizon et sans issue ; les personnages s'estompaient dans cette brume que connaissent la plupart des écrivains ; cette subite absence de vie et de chaleur me fit perdre le don de création.» Mais il faut bien vivre : elle s'interrompt pour honorer une commande du journal Le Temps. Ce sera Agnès de rien, rédigé d'un trait, qui connaîtra le succès lors de sa parution chez Plon en 1943. Puis elle reprend Du côté d'où viendra le jour et parvient à le mener à son terme, non sans difficulté.

« C'est de tous mes livres celui qui s'est le moins vendu et dont on m'a le moins parlé », regrette Germaine Beaumont qui lui voue pourtant l'attache­ment secret d'une mère à son enfant le plus fragile. […] L'ouvrage est précédé d'une préface dans laquelle l'auteur expose, non sans un certain art de la dramaturgie, les difficultés et le mystère qui entourent les circonstances de sa conception, lequel mystère prend les traits d'une inconnue fantomatique croisée au hasard des rues de Paris. Cette passante, à laquelle est dédié Du côté d'où viendra le jour, c'est Armande Armand-Louvesne dont le nom et l'allure annoncent l'opulence un peu ternie d'un autre siècle.

« Sans doute ai-je touché à des problèmes qui n'inté­ressent que moi », confie Germaine Beaumont avec sagesse dix ans plus tard. Ce roman se distingue en effet de l'ensemble de sa production littéraire notam­ment par les thèmes qu'elle y aborde, la charité et le miracle de la grâce, et qui le colorent d'une nuance mystique particulière. Cet aspect n'échappe pas aux critiques de l'époque. On est loin des « ironies moqueuses, bouffonnes même, auxquelles ses autres livres nous ont habitués », commente l’un d’eux. […] Les éloges de Colette vont également dans ce sens. « Bougresse, tu m'as bien eue », s'indigne l'illustre occupante du Palais Royal. C'est qu'elle a été prévenue de la parution du livre par son voisin Cocteau, avec qui elle se rend chez Stock pour s'en procurer un exemplaire. « Mon enfant, comme tu montes droit. Comme tu te sers de ces grandes choses, auxquelles j'ose à peine toucher, et encore en me tortillant d'un air gêné», écrit-t-elle à Germaine à qui elle avoue ses larmes «de lecteur dur à lui-même» pour la prière de la fin. Cette prière force du reste l'admiration d'une autre plume illustre, François Mauriac, dont Germaine Beaumont s'approche ici par la subtilité de l'analyse psycholo­gique et surtout par la tension que provoque l'enjeu religieux chez ses personnages. »

De Nellie, l’héroïne de La Roue d’infortune, on serait tenté de faire une seconde Thérèse Desqueyroux : ce sont toutes deux des empoisonneuses. Mais leur ressemblance s’arrête là. Nellie n’est pas le « monstre » que dépeint Mauriac, ses motifs ne sont pas les mêmes que ceux de Thérèse. Certes, toutes deux étouffent dans leur milieu, toutes deux subissent leur destin ; c’est l’amour, cependant, qui guide la main de Nellie, l’amour passion pour un autre homme que son mari, un homme qui, d’ailleurs, se révélera être un menteur et un manipulateur. Thérèse n’agit nullement par amour ; il n’y a en elle et autour d’elle qu’un immense vide, et ce n’est que dans les dernières pages de La fin de la nuit que lui viendra la grâce. Si Nellie commet l’irréparable, c’est qu’elle espère échapper au pire. Dans sa longue introspection, Thérèse ne parvient pas à trouver le motif exact de son acte alors que Nellie est tout à fait consciente de ce qu’elle fait et surtout des raisons pour lesquelles elle le fait. Et qu’est le pire, pour Nellie ? C’est le mariage, qui permet aux jeunes filles d’échapper, comme le dit Mauriac, aux « barreaux vivants d’une famille » mais ouvre une autre prison, pas plus épanouissante que la précédente. Luxe, bijoux, soirées, sortie, considération sociale se payent et c’est ce que devine Nellie : « A mesure que les jours passaient […] une croissante angoisse dénaturait ma joie ». Alors quand surgit l’amour, le vrai, de quoi ne devient-on pas capable pour le vivre pleinement ?

Laissons le mot de la fin à Germaine Beaumont elle-même. A la question posée par une journaliste en 1975 et qui peut se résumer en une courte phrase : « pourquoi vos héroïnes sont-elles toutes des victimes ? », la romancière répondit : « Parce qu’elles souffrent davantage, étant à la fois plus vulnérables et plus dures que les hommes. Parce que la plupart d’entre elles ne disposent pas encore d’échappatoires. »

Mesdames, qu’en pensez-vous ?...

PS : Je doute cependant que notre époque, totalement dénuée de la plus petite spiritualité, soit capable d'apprécier ce genre de littérature...


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