Je vais encore me faire allumer grave - pour peu que ce blog survive au bug (?). Je trouvais l’idée d’une “nuit des écoles” plutôt sympa. Las ! Il m’a suffit d’entendre certaines mères de famille, chevilles ouvrières des “parents d’élèves” pour déchanter aussi sec ! C’est qu’elles protestent avec la dernière énergie contre les programmes : trop lourds pour leurs petites têtes blondes ou brunes (sans oublier les roux).
Je ne peux m’empêcher de penser à la “Fabrique du crétin” de Jean-Paul Brighelli… ni d’avoir une pensée émue pour Jacqueline de Romilly - grande dame des lettres grecques - qui, si elle n’y voit plus assez aujourd’hui pour lire et écrire, garde toute son acuité pour juger des carences de l’enseignement actuel. Certes, “L’enseignement en détresse” (Julliard) date de 1984… Mais la situation n’a fait qu’empirer et elle a continué à tirer la sonnette d’alarme.
L’Ecole s’auto-détruit depuis 40 ans. De démission en démission. De programmes allégés en programmes super-allégés. Travail, effort, rigueur et méthode sont devenus de vrais gros mots !
L’école se doit d’être hédoniste : s’amuser, musarder, picorer au gré des fantaisies. “Lieu de vie” où les savoirs n’ont plus grande part.
Certes, je suis sans doute fort mal placée pour en juger, ayant vécu une scolarité plutôt dilettante…
Mais c’est précisément parce que j’ai dû cravacher dur par la suite, étudiante tardive mais non point attardée ! que je mesure la foutaise de mon rêve d’élève dilettante : apprendre ce qui plait, comme il plait… et est sans doute parce que j’ai lu tardivement “Libres enfants de Summerhill” (A.S. Neill, 1971 éditions François Maspero) que j’en ai réalisé l’inanité.
Je dirais exactement la même chose “d’Une société sans école” (Seuil, 1971) d’Ivan Illich… grande star de la nouvelle pédagogie de l’époque mais que j’ai lu avec un très grand sens critique il y a seulement une dizaine d’années.
Il faudrait que je le relise crayon à la main pour affiner ma critique. Je citerai la “4ème de couverture” qui donne un bon aperçu de l’ensemble : “L’école obligatoire, la scolarité prolongée, la course au diplôme, autant de faux progrès. Dévotions rituelles où la société de consommation se rend à elle-même libérer son propre culte, où elle produit des élèves dociles prêts à obéir aux institutions, à consommer des programmes tout faits préparés par des autorités supposées compétentes.
A tout cela, il faut substituer une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne goût d’inventer et d’expérimenter.
Il faut libérer la jeunese de cette longue gesttion scolaire qui la conforme au modèle officiel. Alors, les nations pauvres cesseront d’imiter cette coûteuse erreur.
Plus de crédits démesurés aux institutions (scolaires ou autres). Que les moyens d’acquérir ou de transmettre un savoir soient mis en commun et librement accessibles à tous. Plus de maîtres à la fois gardiens de l’ordre établi, prédicateurs et thérapeutes. mais des échanges entre “égaux”, des éducateurs indépendants…
Je regrette mais je ne peux adhérer a ce tissu d’inepties, moi la pourtant soixante-huitarde bien évidemment éprise de liberté et d’indépendance de la pensée… C’est exactement comme “l’auto-discipline” must de la même époque : pour savoir s’auto-discipliner, encore faut-il avoir reçu suffisamment de bonne éducation, qu’on vous ait inculqué du sens moral - ce qui se fait ou pas pour que la vie en société soit possible - et suffisamment de règles élémentaires de politesse pour savoir respecter les autres.
Le respect des autres - je ne parle pas de ramper ni de tout accepter ! - n’est pas inné. C’est dans ce sens que Jean-Pierre Chevènement avait tout à fait raison de parler de “sauvageons” (encore qu’il était méprisant pour les “sauvages” dont les lois sont encore plus prégnantes et implacables que les nôtres !) à l’égard de certains comportements délinquants.
Il en est de même pour les savoirs, qu’ils soient intellectuels ou pratiques. On ne peut rien maîtriser si l’on n’a pas reçu des bases solides. Pour savoir compter, encore faut-il connaître les règles essentielles et mieux vaut avoir appris les tables par coeur pour ne pas hésiter une plombe avant de savoir si 2 et 2 font bien quatre, etc… De même, comment faire rédiger une phrase à peu près correcte si les enfants n’ont pas appris à lire et à écrire sans faute ni la notion des différents mots et la façon de les assembler.
Quitte à me faire mal voir du tout-libertaire, je dirais que s’agissant de l’école et de la culture en général, Ivan Illich a une vision fort utilitariste de l’enseignement. Et qu’il rejoint tout à fait les Sarkozy et autres Bernard Laporte (de vrais parangons intellectuels !) dans leur critique des cours aussi interminables qu’indigestes ainsi que des devoirs imposés aux élèves.
Le même Nicolas Sarkozy qui peut aller chanter les mérites d’Aimé Césaire à la Martinique, très sûrement sans l’avoir lu et dire par ailleurs que l’Etat ne doit pas financer les études de lettres classiques… S’il avait quelque gramme d’intelligence et de culture, il saurait sans doute tout ce que Césaire reconnaissait devoir - quant à l’humanisme et au sens de l’universel, qui comme Senghor, lui avait à jamais interdit tout repli raciste - aux lettres grecques.
“Le goût d’inventer et d’expérimenter” ? Bien entendu. Je n’ai pas passé deux années avec une instit qui s’inspirait de la méthode Freynet (mais savait aussi nous enseigner beaucoup de rigueur) pour n’en point savoir le plaisir et la richesse. Mais encore faut-il avoir appris les fondamentaux au préalable pour ensuite les appliquer.
On aurait d’ailleurs tort de dissocier l’enseignement général et les études techniques. Certes, on apprend beaucoup de choses “sur le tas”. Mais vous ne trouverez jamais un professionnel complet qui n’ait appris au préalable des notions aussi essentielles que la technologie des matériaux voire des calculs mathématiques complexes. J’étais capable de faire un minimum de réparations sur ma 2 cv parce qu’on m’avait montré comment le faire.
Mais mon ex-beau-frère est un mécanicien hors-pair précisément parce qu’il a suivi des études dans un lycée technique et qu’il maîtrise et la technique et les notions théoriques, associées à un savoir-faire proprement stupéfiant.
Je dirais la même chose de la profession d’infirmière puisqu’il faut y associer de solides connaissances médicales (acquises en cours) à des gestes pratiques que l’on n’apprend que sur le terrain et où, pendant les différents stages, l’expérience et le goût de transmettre les savoir-faire des infirmières ou monitrices qui nous encadrent son essentiels.
Quant aux enseignements purement intellectuels, qu’ils soient scientifiques ou plus littéraires, il me semble qu’on nage en pleine connerie si l’on attend le hasard pour grapiller quelques connaissances.
Sans rien dire du droit, où aucun terme n’est interchangeable puisque chaque notion correspond à une donnée précise qui s’applique à des cas précis (tout l’art consistant à démêler dans la pratique les cas voisins pour savoir ce qui doit s’appliquer en l’espèce) il se trouve que toutes les études que j’ai faites, sciences humaines et philo, impliquent d’également démêler des notions qui se doivent d’être précises sauf à nager en plein relativisme.
Or, précisément, notre époque, parce qu’elle tend à être celle du parfait relativisme (tout se vaut !) met tout sur le même plan, sans hiérarchie de valeurs. Le futile côtoie l’essentiel et prend souvent le pas. La culture fout le camp.
Or, la culture, si elle est source de plaisir (le “gai savoir de Nietzche) demande quand même des efforts. C’est moins facile que de passer des heures à s’abrutir devant la télé ou des jeux vidéo.
Alors, que les bonnes femmes qui s’inquiètent pour “la lourde tête” de leurs rejetons, n’aient pas de souci : ils ne seront pas formatés pour aller travailler et plier l’échine (la culture est aussi une façon d’être libre même enchaîné… “Sysiphe heureux”) mais pour que TF1 puisse vendre leur “temps de cerveau disponible”…