Les couleurs pop dominent Lou et l’île aux sirènes, ravissent les yeux comme elles ont séduit le jury du festival d’Annecy, qui a attribué au réalisateur Masaaki Yuasa le Grand Prix en juin dernier. Pour autant, l’esth-éthique carnavalesque que le film déploie avec ardeur finit par lasser. Le carnaval aurait-il des limites ?
De la joie dans la grisaille
Par bien des aspects, Lou et l’île aux sirènes s’apparente à un film de Jacques Demy. Comme Les Parapluies de Cherbourg, le manga se déroule dans le petit port de pêche déclinant d’Hinashi. Comme Lola, le récit met en scène des personnages mal dans leur peau – même s’ils ont une meilleure origine sociale que les ouvriers et prostituées du cinéaste français – et dont les rêves de la grande ville (Tokyo ou Paris) entretiennent l’espoir de quitter leur province perdue. Enfin, comme Les Demoiselles de Rochefort, la couleur et la musique transcendent le banal quotidien de villes saturées de grisaille.De ce point de vue, Lou ne peut manquer de plaire, tant il exalte le plaisir héroïque de vivre. Ses aplats de couleur franche mettent en image un monde simple et chatoyant aux limites bien définies, et dont l’incessant ballet des sirènes telle que la petite Lou marque l’aboutissement sensoriel. Un univers bien proche du style kawaï.
Quand le caractère social s’abîme dans le burlesque
Cependant, Masaaki Yuasa ne tient pas l’aspect social de son film aussi longtemps qu’un Demy. À la différence de la première partie, la seconde moitié du film s’engage dans une débauche de couleurs, de musiques et de chorégraphies certes plaisante, mais dont l’enchaînement se délite de plus en plus. Une succession de séquences clips plutôt qu’un solide scénario qui lierait l’étude morale d’une province déclinante et la nécessité d’y susciter le bonheur.La fin du film vire ainsi au burlesque effréné, qui, dans sa démesure, retourne aux clichés les plus niais, telle cette chanson du héros, Kai, aux paroles ô combien profondes : « J’aime la musique/ parce que ça me permet d’exprimer/ ce que j’ai en moi »… La mièvrerie l’emporte sur la toile de fond sociale.Le manga souffre d’autant plus qu’il stagne dans l’ombre d’un maître de l’animation japonaise : Hayao Miyazaki. Les créatures fantastiques renvoient toutes à des personnages iconiques du vieux cinéaste : Lou se modèle sur Ponyo (Ponyo et la falaise, 2008) et son père sur le puissant et gentil Totoro (Mon voisin Totoro, 1992). Mais aucun d’eux n’a le charme des personnages miyazakiens ; leurs gestes posés ne font que trahir leur pâle et kitsch imitation. Le carnaval a donc ses limites, dès lors que son principe de contestation sociale et politique (à la base de l’événement médiéval) disparaît dans la profusion du spectacle. Lorsque celui-ci prend le pas sur la critique, l’essence du carnaval meurt. Et c’est le cas pour Lou, qui sombre dans une idéologie bisounours dont la magie visuelle ne sauve pas la faiblesse.
Lou et l’île aux sirènes, de Masaaki Yuasa, 2017Maxime