Ce matin, elle se réveille, et elle est à la retraite. A moins qu'on ne dise en retraite. Ce matin elle se réveille et 30 ans d'enseignement dans un même collège se sont évanouis. Ils se sont retirés, comme une mer quitterait la plage où elle avait l'habitude de s'amarrer. Ce matin, je me demande comment elle boit son café ou son thé, mange ses tartines. Met-elle des possibles dans sa tasse ? Des rêves dans son bol ? Ou éprouve-t-elle une peur face à l'inconnu qui s'avance, ce temps permis, ce temps ouvert, ce temps ghetto ? A-t-elle des émotions, en songeant à ces milliers d'heures et à ces dizaine et dizaine de visages formés [formatés ?], de joie, de regrets, ou de vide ? A-t-elle au contraire des soupirs de soulagement dans les pognes ? Fait-elle du bien, cette idée de retraite qui n'est encore qu'une idée et pas encore une vie ? Ou fait-elle de la tripe qui se noue, faute de repères ? Ce matin, elle se réveille et elle est à la retraite. Vendredi, nous sommes allés la saluer. Il y avait beaucoup de sourires et de petits fours, du soleil et des enfants qui jouaient dehors, des adultes qui devisaient qui retrouvant untel, qui disant ceci à celui ou à celle-là. Tout le monde est reparti, à un moment. Il a fallu ranger. A-t-elle su, alors, qu'elle y était, cette fois ? A la retraite.