On peut rêver aux textes que Georges Perec aurait pu donner
s’il n’était mort en 1982, à 46 ans seulement. Mais les faits sont là et seule
la publication posthume de 53 jours,
roman inachevé, avait pu laisser entrevoir ce qui nous manquera.
En guise de consolation, on se retrouve avec les premiers
écrits de Perec, non publiés, dont les manuscrits avaient été égarés avant
d’être, par bonheur, retrouvés. Il y a cinq ans, Le Condottière, refusé en 1960 par les éditeurs qui l’avaient lu,
ressurgissait. Aujourd’hui, on remonte encore un peu le temps puisque L’attentat de Sarajevo a été écrit en
1957. Et refusé aussi, par Jean Paris au Seuil et par Maurice Nadeau, qui sera
l’éditeur des Choses. Il était temps
de l’exhumer, peu avant Perec en Pléiade.
Pour autant, Claude Burgelin, qui préface cette édition,
s’enthousiasme moins que Jacques Lederer en 1958. Celui-ci, reprenant la
lecture du manuscrit, écrivait à Perec : « C’est vraiment, sans flatterie, un petit chef-d’œuvre,
qui possède cet « aplomb »
dont je t’ai parlé une fois, cette domination de l’œuvre d’art sur celui qui
lit. » Le préfacier place la barre moins haut que le chef-d’œuvre,
même petit, et il a raison, comme il a raison d’insister sur l’importance de ce
« premier chapitre de l’itinéraire
de Georges Perec ».
On a l’impression, en lisant L’attentat de Sarajevo, que Perec s’est lancé à lui-même un défi
susceptible d’infléchir tout son travail à venir : se prouver qu’il était
capable d’écrire un roman. Il l’a fait vite, semble-t-il, ce dont certaines
pages souffrent. Mais il l’a fait. Et, sans aboutir à un résultat inoubliable,
ce n’est pas non plus indigne.
En 1956, Perec a publié, dans Les Lettres nouvelles, une note de lecture sur le roman du Yougoslave
Ivo Andrić, Il est un pont sur la Drina. Il
fréquente des intellectuels et des artistes yougoslaves. Il est étudiant en
Histoire, même s’il n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, très assidu.
Il a rencontré Milka, la maîtresse d’un peintre yougoslave, et elle ne le
laisse pas indifférent. C’est assez pour le décider à partir pour Belgrade,
dans l’espoir de séduire cette femme.
Tout cela est le terreau qui fermente à toute allure et
fournit la matière de L’attentat de
Sarajevo. Le narrateur emprunte assez précisément le parcours de l’auteur
jusque dans son intention première : conquérir, en Yougoslavie, le cœur et
surtout le corps de Mila, maîtresse de Branko. Celui-ci est marié, l’idée
consiste à réunir Branko, sa femme et sa maîtresse, et à convaincre l’épouse
d’assassiner sa concurrente. Un attentat, en somme.
Mais l’étudiant n’a pas oublié les leçons du passé. « C’était tout de même de chose que de
venir à Sarajevo pour commettre un attentat. Il y eut des précédents sans
doute. » Ou encore : « à
Sarajevo, il arrive que les choses ne se passent pas toujours comme on pourrait
le désirer, et que les plus petites actions aient des conséquences
bouleversantes. On a eu des exemples. »
Sans s’extasier devant un roman que Perec ne s’interdisait
pas de reprendre plus tard, on s’amuse quand même beaucoup de le voir tirer des
fils entre le réel et la fiction.