Il revendique le droit de changer plusieurs fois de vie (transformer le modèle, le remanier, l’adapter, créer des arrangements). Il attend avec impatience l’année où l’on pourra télécharger de nouveaux modes de vie, de nouveaux usages et principes, au rythme qu’il voudra. Parfois il rêve d’entreprendre un remake de ce qu’il a vécu jusque là (il considère sa vie comme un film qui peut être refait), une nouvelle version. Il rêve d’être un remake de ce qu’il a été, mais enrichi, autant dire un morceau qui garderait la même structure mais avec de nouveaux arrangements.
Dans le jeu vidéo de la Division Fantôme, c’est une simple option gratuite, on peut se réinitialiser et mettre à jour ses amis et relations. Ce n’est qu’un jeu.
Son frère a pris l’option loin de tout. Il a décidé de s’allonger pendant quelques années, à l’écart, le grand écart, comme certains fous et certains sages ou certains explorateurs qui prétextent le voyage scientifique, l’étude, pour partir loin de tout et revenir porteurs de mystères et de secrets mais aussi de savoirs et de leçons. Très jeune il a été fasciné par les documentaires qui ont pour sujet ces Américains qui partent habiter une caravane dans le désert et soudain n’ont plus besoin de rien de ce qui a occupé et modelé leur vie jusque là. Certains de ces Américains s’installaient dans un désert situé au-dessous du niveau de la mer, en Californie, dans la vallée de la mort par exemple. Ce genre de détail s’incrustait tout de suite dans sa mémoire. Il ne peut oublier ces gens qui vivent dans un désert brûlant tout l’été en dessous de la mer, sans confort, à part un bricolage d’objets récupérés, hétéroclites, des durs à cuire.
Le bonheur est à double tranchant, est la phrase très naïve que son frère (moins naïf qu’il n’y paraît) a laissé sur une feuille blanche posée sur la table de la cuisine avant de partir.
Il remue la phrase (le bonheur est à double tranchant) sur les parkings ou dans sa tanière cuite au milieu de la zone commerciale, les relais routiers, les entrepôts, les hôtels de représentants, d’agents commerciaux et de techniciens épuisés, tous seuls dans leur voiture, en costume cravate, harassés par leur avenir. Tu crois vraiment que la banlieue va te rendre plus inventif ?
Tu fais de ton mieux ? Il est là le trou noir ?
Dans la petite chambre il regarde le téléviseur allumé sans le son, les images en mouvement et il zappe d’une chaîne à l’autre en écoutant de la musique diffusée par son ordinateur.
Il cherche à créer une installation, quelque chose dont on pourrait dire : je n’ai jamais rencontré un truc pareil, d’où est-ce que ça vient, mais c’est quoi ce machin ?
Tu connais L’INUTILE CLUB près de l’autoroute? Des marginaux et des marginales ? Les marginaux deviennent la norme dans certains endroits…
Dans un de ses messages électroniques il décrit sa fascination pour les machines. Il termine avec une question : Ça te dirait d’être un automate ?
Je les envie parfois ces techniciens. Quand je les vois au bar le soir, après leur journée de travail. Ou le samedi, ils ont l’air dégagés de tout souci, absolument libres dans ces moments, libres comme jamais.
– C’est un leurre.
Quand celle qu’il a rencontrée dans la cafeteria doute et demande quel produit on peut trouver pour effacer le doute, marchant tous les deux le long de la route, dans l’obscurité et la pluie pour s’entraîner et s’endurcir, il répond qu’il vaut mieux profiter des effets du monde physique, matérialisé, terre à terre. Ainsi ils vont s’encanailler dans un pub du Pico Pico, avaler un sushi au milieu d’inconnus pressés…
« Les sur-adaptés ne se sentent jamais fous même dans la pire des situations. »
– Sans peur, pas de vie.
La fille de la cafeteria n’est pas certaine que le présent soit rongé de passé et de reprises au point de disparaître.
– Tu as remarqué qu’il n’y a plus de présent.
– Cinquante huit pour cent des vertébrés ont disparu en quarante ans et cela ne te gêne pas ?
– Cinquante huit pour cent ?? Je me suis aperçu de rien. »
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Publié le par jpostende