[Critique] ÇA
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Titre original : It
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Andres Muschietti
Distribution : Jaeden Lieberher, Finn Wolfhard, Jack Dylan Grazer, Sophia Lillis, Jeremy Ray Taylor, Wyatt Oleff, Chosen Jacobs, Bill Skarsgård, Nicholas Hamilton…
Genre : Épouvante/Horreur/Drame/Adaptation
Date de sortie : 20 septembre 2017
Le Pitch :
À Derry, une petite ville de l’état du Maine, plusieurs disparitions d’enfants plongent la population dans l’émoi. Bill, un jeune adolescent, vient d’ailleurs de perdre son frère, qui a disparu sans laisser de trace en pleine journée. Bien décidé à le retrouver, il ne tarde pas à faire la connaissance de Ça, une immonde créature qui se présente à lui sous les traits d’un clown. Ça qui terrorise également tous les amis de Bill, prenant à chaque fois un malin plaisir à jouer sur leurs peurs les plus enfouies. Ayant élu domicile dans le dédale des égouts, le monstre continue de se repaître des enfants d’une ville qui est devenue son terrain de chasse…
La Critique de Ça – Première partie :
16 octobre 1993 : M6 diffuse en une seule fois les deux parties du téléfilm Il est revenu, de Tommy Lee Wallace, soit l’adaptation du roman Ça de Stephen King. Devant leur écran, des millions de jeunes téléspectateurs sont terrifiés devant le spectacle morbide de ce clown qui sème la mort dans la petite ville imaginaire de Derry. La performance de Tim Curry, dans le rôle de Pennywise le clown (Grippe-Sou en version française) rentre dans les annales, et devient l’incarnation suprême d’une épouvante liée au champ lexical de l’enfance. Malgré ses défauts formels et son écriture un peu bancale, ce téléfilm est depuis régulièrement cité parmi les meilleures adaptations de Stephen King, mais aussi dans les listes des films les plus flippants jamais réalisés. Quand, bien des années plus tard, une nouvelle adaptation est annoncée, ces mêmes téléspectateurs, devenus adultes, sont divisés. Pourquoi revenir sur quelque chose qui a déjà connu une incarnation aussi marquante ? D’autres pensent au contraire qu’il est tout à fait possible de faire mieux. De coller de plus près aux écrits de King pour offrir à Ça une illustration encore plus fidèle et graphiquement encore plus traumatisante, conscients du faits qu’Il est revenu avait non seulement un peu vieilli mais valait finalement surtout pour l’impact de la performance de Tim Curry et pour le parfum de nostalgie qu’il symbolisait depuis sa diffusion.
Mais les choses furent loin d’être simples pour le nouveau Ça. Tout d’abord confié à Cary Fukunaga, encore auréolé du succès de la première saison de True Detective, le film, qui serait lui aussi divisé en deux parties distinctes, est ensuite mis au point mort. Fukunaga est débarqué au profit d’Andres Muschietti, qui pour sa part, s’est construit une belle réputation dans le milieu grâce à son Mama, (qu’il a adapté d’après son propre court-métrage). L’occasion pour la production de remanier le casting et d’engager Bill Skarsgård pour jouer Grippe-Sou, au détriment du premier acteur prévu, à savoir Will Poulter (Les Miller, une famille en herbe). Le scénario aussi fut réécrit. Attendu au tournant, le Ça cru 2017 s’est peu à peu imposé comme une évidence, au rythme de trailers et autres spots savamment orchestrés qui tendaient au moins à prouver que la démarche, pour une fois, avait un certain sens. Les fans du premier téléfilm ayant pour la plupart été rassurés quand le look du clown fut dévoilé. Impossible d’oublier Tim Curry mais difficile de ne pas reconnaître dans cette nouvelle proposition quelque chose d’inspiré et de franchement effrayant. Et puis vint la sortie tant attendue/redoutée… Aux USA, Ça a pulvérisé le record du meilleur démarrage pour un film d’horreur. En France, la frénésie a passé un nouveau palier. Grippe-Sou parviendrait-il a convaincre ? Ça pourrait-il devenir une nouvelle référence ?
Quand le cirque débarque en ville…
Quand un film connaît une genèse un peu chaotique, c’est généralement fifty-fifty. Soit il est complètement raté ou du moins super bancal, soit non et on peux parler de miracle. C’est le cas ici. Impossible de prévoir ce que Cary Fukunaga aurait réalisé, même si le script de Ça comporte encore quelques-uns des éléments qu’il a apporté. Une chose est sûre : Muschietti a accompli un petit exploit. Muschietti et les scénaristes qui ont parfaitement compris qu’une bonne adaptation ne devait pas forcément coller en permanence à son modèle. Un bon film se doit de faire preuve d’audace. C’est valable dans 100% des cas. On peut prendre l’exemple de Shining qui se détachait radicalement du livre mais qui, bien que King déteste le film, a réussi à s’imposer comme une référence absolue de l’épouvante. Contrairement au téléfilm Shining, les couloirs du temps, de Mick Garris qui lui, approuvé par King qu’il était, collait de très près au bouquin, mais brillait surtout par son manque d’audace et son caractère très plan-plan. Ça parvient donc à s’affranchir de King tout en lui restant fidèle. En gros, pour expliquer ce qui peut apparaître comme un paradoxe total, on peut affirmer que le film a compris et retenu l’essentiel. Ça est un livre touffu et complexe. Plein de ramifications, lié à d’autres récits de King, il ne parle par que d’un clown qui terrorise des enfants. Les lecteurs assidus se souviendront ainsi de la Tortue et de tous ces détails qui inscrivent l’histoire dans une logique terriblement ambitieuse, difficilement envisageable au cinéma. Quand on passe d’un médium à un autre, des ajustements sont nécessaires et difficile de nier que Ça a opéré les bons. Le principal étant que l’adaptation a compris le livre et a tenu à rendre justice à son propros principal tout en se cherchant une légitimité et une indépendance indispensables à la bonne réussite de l’ensemble. Mission accomplie !
Le livre se divise en deux parties plus ou moins distinctes : l’enfance et l’âge adulte. Comme le téléfilm de 1990 et comme Ça 2017. Si ce premier chapitre se focalise entièrement sur la première confrontation des enfants avec Grippe-Sou, le second film racontera comment les adultes devront revenir à Derry pour honorer leur serment et tenter de renvoyer ad patres le terrifiant monstre qui hante les égouts de la ville. Une première partie que les scénaristes ont choisi de situer à la fin des années 80 et non plus dans les années 50. Un choix qui peut apparaître assez confortable vu la côte qu’ont les années 80 en ce moment au cinéma, tout spécialement concernant le cinéma de genre, mais qui est plutôt logique vu qu’ainsi, la seconde partie se déroulera à notre époque. Risqué mais bien vu ! D’un coup d’un seul, Ça se paye le luxe d’encourager les trentenaires/quadras d’aujourd’hui à s’identifier à des jeunes héros qui sont de leur génération, mais prend aussi le jeune public par la main, tout en venant se positionner dans la même logique que des œuvres hyper populaires comme Stranger Things. Série déjà à fond sur l’imagerie 80’s, Amblin et Stephen King. La présence au générique de Finn Wolfhard, l’un des héros de Stranger Things, renforçant la filiation entre les deux œuvres. Alors oui, il aurait été plus burné de situer l’action dans les années 50, mais le film parvient à justifier son choix et c’est bien le principal.
Fin de l’enfance…
Conte macabre sur le passage à l’âge adulte, métaphore brutale de la perte de l’innocence, ode à l’amitié qui s’articule autour de l’irruption inopinée de l’horreur la plus indicible dans une réalité qui s’en trouve bouleversée, prenant des airs de cauchemar insondable, Ça démontre d’un amour certain pour le matériau de base et traduit un respect appréciable de la part des auteurs envers King. Les changements sont donc minimes par rapport au livre. Il manque des choses, comme expliqué plus haut, mais sinon, rien à redire. De petits clins d’œil se chargeant de faire du pied aux lecteurs, histoire d’encore une fois prouver une belle dévotion à Stephen King, qui ici, n’est jamais trahi d’une quelconque façon que ce soit. Pour répondre donc à la question que certains fans se posent : oui, Ça est beaucoup plus fidèle que Il est revenu ! Non seulement il est plus fidèle mais il parvient aussi à ancrer ses différences dans la même logique, imposant donc une alternative graphique extrêmement convaincante et pertinente en permanence.
Un film qui n’apparaît pas opportuniste mais qui fédère pour plein de bonnes raisons. De quoi contenter les spectateurs qui ont connu l’âge d’or des 80’s auquel Ça vient se rattacher, et les plus jeunes, habitués aux productions bâclées à la Paranormal Activty, qui sont en train de commencer à goûter à ce doux parfum retro via des films et des séries qui carburent à la nostalgie.
Parfait Club des Ratés
Le casting est l’une des plus grandes réussites de Ça. Jaeden Lieberher, Finn Wolfhard, Jack Dylan Grazer, Sophia Lillis, Jeremy Ray Taylor, Wyatt Oleff et Chosen Jacobs forment un parfait Club des Ratés avec une mention à la formidable Sophia Lillis, dont le rôle, primordial, appelait à une mise en avant dont elle s’acquitte avec talent, armée d’un charisme à toute épreuve et d’une sensibilité qui sied à merveille au rôle. On se sent immédiatement à la maison au sein de ce groupe hétéroclite de marginaux. Des enfants qui subissent les attaques répétées d’un gang de brutes, puis ceux d’un clown maléfique, et qui nous prennent par la main, nous acceptant dans leur groupe, renforçant ainsi l’immersion qu’encourage le récit. Un groupe qui n’est pas sans rappeler celui de Stand By Me, de Rob Reiner certainement la meilleure adaptation de King à ce jour. C’est dire le niveau.
Et le clown justement ? Et bien il est parfait. Ni plus ni moins. Doté d’un physique propice à endosser des rôles ambigus, Bill Skarsgård profite du maquillage (excellent) pour camper un Grippe-Sou aux petits oignons, à la fois franchement flippant mais aussi terriblement ambigu et malsain. Et c’est quand il joue justement sur cet aspect très dérangeant qu’il marque le plus de points. Grâce à Bill Skarsgård, ce prédateur suprême venu des entrailles de la terre, qui cristallise la folie des hommes dans leurs déviances les plus terribles, s’impose comme l’une des créatures les plus soignées et les plus effrayantes vues sur un écran de cinéma depuis des lustres. La tenue, le maquillage donc, l’attitude, la gestuelle, la voix, tout est impeccable, souligné par un soucis du détail dingue et cette propension à saisir l’insaisissable pour déranger, au delà des inévitables jump scares, par ailleurs très bien agencés ici.
Il est bon de souligner qu’il n’y a aucune star dans Ça. Le plus connu étant finalement le génial Finn Wolfhard de Stranger Things. Il est fort probable que ce ne soit plus le cas avec la suite. Aucune star, pour aucun repère « rassurant ». On peut alors plonger dans le récit et se laisser happer. On peut se fondre dans une scénographie elle aussi extrêmement soignée, qui témoigne d’une totalement compréhension du Stephen King universe…
Tableau de maître pour solides frissons
Car Ça est un beau film. La réalisation de Muschietti regorge de bonnes idées. Dans les moments de pure terreur, il sait précisément où se placer pour souligner avec le plus de force ce qui se déroule à l’écran. Ça enchaîne les morceau de bravoure visuels. La production design est sublime. Les décors, que ce soit les petites rues de cette bourgade américaine typique, ou les entrailles des égouts où est tapi le monstre peinturluré, il n’y a rien à redire. Un travail parfaitement mis en valeur par une photographie elle aussi impressionnante. Seul petit regret : la musique. Un peu effacée, elle ne fait pas écho au travail effectué à ce niveau sur les trailers. Mais ce n’est qu’un détail. Une musique qui ne se fait pas remarquer et qui aurait peut-être pu amplifier la tension, parfois un peu étrangement désamorcée.
Car si Ça réserve son lot de scènes flippantes, difficile de ne pas se dire qu’il aurait pu être encore plus tétanisant. Comme le livre en somme. Dès l’introduction, incroyable de brutalité, le métrage enfile les séquences de pure épouvante mais parfois, s’empresse, au détour d’une réplique drôle ou d’un petit stratagème de mise en scène, de désamorcer la tension. Comme si il faisait demi-tour afin d’attaquer de différentes façons la continuité de son récit, pour diluer la noirceur peut-être… Ce qui est un peu regrettable concernant l’installation de la peur tant attendue.
Par contre, logiquement, c’est l’aspect dramatique qui y gagne. Les blagues de Ritchie, les interactions entre les personnages, les petites respirations que le récit s’emménage, la love story discrète, les ruptures de ton… Tout ceci travaille pour la synergie du Club des Ratés et fait presque parfois ressembler le film à une déclinaison de Stand By Me. On touche alors au point le plus délicat de cette nouvelle adaptation : d’un côté pur trip horrifique, étonnamment violent et inventif et de l’autre film sur la fin de l’enfance. Un peu malgré lui, Ça confronte le King, maître de l’horreur, au King dramaturge. Quelque chose que King lui-même a toujours fait, ne donnant jamais dans l’horreur simple et agrémentant toujours ses histoires de monstres de sous-propos sur la nature humaine et ses dérives, mais que le film a manifestement du mal à incarner. L’erreur fut peut-être de chercher à diviser les deux aspects de l’histoire originale. Et c’est donc parfois que le film va un peu vite, s’attarde sur des points mais en survole d’autres. Surtout lors du dernier quart d’ailleurs, avant l’incroyable climax.
Pour autant, malgré ces petites réserves, qui l’empêchent d’atteindre la perfection (ce qu’il fera peut-être quand on l’accolera à la deuxième partie), Ça est un remarquable long-métrage. Un vrai roller coaster généreux, avec un vrai fond, qui distille autant les frissons que cette émotion si prégnante dans laquelle il est facile de se retrouver. Une œuvre respectueuse, noble sur bien des aspects, visuellement sublime et parfaitement incarnée.
En Bref…
Malgré de petites imperfections narratives, auxquelles les fans du livre seront probablement plus attentifs, difficile de ne pas se dire que Ça ressemble à l’adaptation rêvée du roman de Stephen King. Parfaitement calibré, soigné, fascinant d’un point de vue purement visuel, avec son casting touché par la grâce, et parcouru de beaux frissons, Ça se paye aussi le luxe de distiller une émotion si prégnante qu’au final, c’est surtout elle que l’on retient. Celle qui habite les visages de ces jeunes acteurs et qui fait échos aux nôtres. Celles qui marquent la fin de l’enfance et le début de l’âge adulte…
@ Gilles Rolland