Deux amis se retrouvent après une longue séparation. Ils s'affrontent alors autour des mots, l'éloignement ayant été provoqué par la phrase malheureuse de l'un d'eux.
Dans cette confrontation entre H1 et H2, si le poids des mots a son importance, les silences jouent un rôle non négligeable aussi, de ces pauses malencontreuses qui ouvrent à des interprétations multiples et variées. Telle intonation pourra être mal perçue, mal interprétée par l'être trouble qui se trouve en face de nous. Car derrière le rêve de transparence inhérent à toute communication, avorte le tropisme, ce quelque chose qui se tient tapi à l'orée de nos conversations.
D'interprétation malheureuse en connotations discordantes, finalement, ce seront deux camps adverses qui finiront par s'affronter : celui des "ratés", des contemplateurs artistes et celui des travailleurs plus matérialistes qui s'agitent. La condescendance souvent déplacée que les autres peuvent ressentir pour nous brouillent les messages.
"H.1 : Maintenant ça me revient : ça doit se savoir...Je l'avais déjà entendu dire. On m'avait dit de toi :《 Vous savez, c'est quelqu'un dont il faut se méfier. Il parait très amical, affectueux...et puis, paf ! Pour un oui ou pour un non...on ne le revoit plus.》 J'étais indigné, j'ai essayé de te défendre... Et voilà que même avec moi...
Si on me l'avait prédit...vraiment, c'est le cas de le dire : pour un oui ou pour un non...parce que j'ai dit : "c'est bien, ça"...oh pardon, je ne l'ai pas prononcé comme il fallait : 《 C'est biiiien...ça..." "
Par le biais de ces discours discordants, l'incommunicabilité entre les êtres qui se manquent "pour un oui ou pour un non" se jouent sous nos yeux.
" Cette opposition est celle, somme toute classique, entre l'homme public et la personne privée, celui qui vit dans le siècle et celui qui vit dehors, celui qui accepte la société et celui qui la refuse au profit d'une vie intérieure riche, d'une existence d'artiste pauvre et méconnu. L'originalité de la pièce consiste à confronter dramatiquement ces deux tendances en montrant comment chaque monde aspire aussi à s'approprier l'autre. H1 veut percer le secret de son ami, avoir accès à l'art, aux sensations ; H2 cherche à nommer, à apprivoiser le monde social extérieur, en mettant un peu d'ordre dans son monde intérieur. Mais ni la mondanité superficielle, ni le retrait du monde ne sont satisfaisants ou possibles ; ils sont plutôt - et telle est la leçon de leur combat - complémentaires comme le oui et le non, comme les deux plateaux de la balance ou les deux côtés d'un tourniquet. " Le théâtre contemporain, Patrice Pavis, Armand Colin 2011
Pour un oui ou pour un non, Nathalie Sarraute, Folio théâtre, 96 p., 19 99, 5.90 euros