Le 6 mai, au cours d’un débat organisé par l'association "Dauphine Discussion Débat", l'ancien Premier ministre, Dominique de Villepin a déclaré à propos de la presse : «En général, je lis la Presse dans ma voiture, heureusement que mes trajets se sont raccourcis parce qu'au bout de 5 minutes, il n'y a plus rien à lire».
Au cours de ma carrière d’ingénieur, même si j’ai parcouru des milliers de kilomètres dans ma voiture (soulignons ici que, ce que ce premier ministre appelle sa voiture, a de fortes chances de ne pas avoir été, à la différence de la mienne, acquise de ses deniers), je n’ai jamais eu le loisir de lire la presse pour la simple raison que j’étais au volant. Il est des pratiques survivantes de l’Ancien Régime qui conduisent certains, élus, militaires, chefs d’entreprise, à se faire conduire. Nous avons pourtant déjà vu des métiers disparaître.
Dans les années 60, quand divers secteurs économiques ont commencé à se tourner vers l’informatique, les entreprises de vente par correspondance employaient des centaines d’opératrices de perforation pour réaliser la saisie des commandes passées par téléphone ou par courrier. Lorsque la technologie a évolué, les écrans cathodiques ont remplacé les cartes perforées et, au prix d’une évolution, les opératrices ont survécu. Avec l’arrivée d’Internet, où la saisie de commande est désormais effectuée par le client lui-même, dans un souci logique de productivité, les emplois d’opératrice ont disparu.
Vers la fin des Trente glorieuses, les entreprises employaient des secrétaires. Leurs effectifs ont eux aussi considérablement fondu, une large part des tâches de courrier ayant été grâce à l’ordinateur personnel reportées sur les cadres. Elles ont été accompagnées par celles de classement, de gestion des rendez-vous, d’organisation des voyages et même de photocopie. Il n’y a certes là rien de déshonorant si ce n’est que faire accomplir des travaux de ce niveau par des gens plus chers qu’un secrétariat ne témoigne pas d’esprits très avisés.
Tous ces changements, même lorsqu’ils sont maladroits, témoignent d’une préoccupation, améliorer la productivité. Les mêmes Eminences, qui pensent améliorer une éducation jugée peu performante en faisant mieux avec moins, ne se sont jamais demandé pourquoi un Etat à bout de ressources continuait à financer des chauffeurs pour des personnes qui vraisemblablement sont en état de conduire. On pourrait naturellement prévoir des exceptions pour quelques Sénateurs.
J’imagine l’immédiate levée de boucliers : «il n’est pas possible de priver de leur emploi tant de bons et loyaux serviteurs de l’Etat et des entreprises. Rendez-vous compte, de toute leur vie, ils n’ont fait qu’une seule chose, conduire des automobiles. Ils ne trouveront jamais un nouvel emploi !». Je partage ce point de vue. Mais ces considérations ne gênent aucune de nos Excellences lorsqu’il s’agit de fermer une usine dans une zone économiquement sinistrée. On ne se préoccupe pas de savoir si un sidérurgiste de cinquante ans ou une ouvrière du textile du même âge va pouvoir se recaser. Pis, on se prépare à leur imposer d’accepter n’importe quelle offre qualifiée de raisonnable, faute de quoi on coupera les vivres à ces fainéants, chômeurs par choix. Deux exigences priment : lutter contre la concurrence des pays émergents et diminuer les chiffres du chômage (pas le chômage, bien sûr, la vitrine seulement).
Il est indécent de la part de ceux, qui se trouvent bien au chaud dans leur monde de privilèges, de refuser de s’appliquer les contraintes qu’ils imposent sans ciller aux autres. Les caisses sont vides, eh bien que M. de Villepin, qui d’ailleurs à ma connaissance n’exerce plus de fonction officielle, ainsi que tous ses semblables, fasse comme tout le monde, qu’il conduise sa voiture. Il n’y perdra pas grand’chose, la Presse est sans intérêt.