Aujourd’hui, de manière un peu exceptionnelle, j’ai choisi le
texte d’un philosophe, Jean-Pierre Cometti.
Façon aussi d’attirer l’attention une
seconde fois sur le dernier numéro de la belle revue Il Particolare, où j’ai trouvé ce texte.
Apporte-moi la plante qui nous mène
là où surgissent de blondes transparences
et s’évapore la vie telle une essence ;
apporte-moi le tournesol affolé de lumière1
Ossi di seppia
On trouve parfois des os de seiche sur les plages,
après une nuit de mer agitée, comme si cet animal invertébré s’était alors
délesté d’un fardeau très léger qui semble destiné à le maintenir en état de
flottaison. Montale a appelé « Ossi
di Seppia », l’une de ses premières séries de poèmes, pour une raison
que j’ignore, mais que j’aimerais imaginer en pensant à ce délestage dont on ne
peut que constater les effets. La seiche porte son os à l’endroit où se
tiennent nos pensées ; il lui est tout aussi précieux et encombrant que
ces états mentaux dont nous ignorons à peu près tout, sinon que ce sont les nôtres.
Il peut arriver que les sentiments nous privent – à nos
yeux – d’une relation avec le monde que nous aimerions plus innocente ou plus détachée. Le mystique qui souhaite atteindre
Dieu se dépossède de ses attributs, il s’en détache, jusqu’à devenir « sans
qualités », comme le héros de Musil. On peut aussi appeler cela un état « hors
de soi », qui correspond à peu près à ce que l’on nomme « extase ».
Peut-être n’en va-t-il pas autrement pour la seiche. Il suffit d’un os trouvé
sur une plage pour y songer. On dit bien de Montale qu’il se plaisait à
découvrir des valeurs cosmiques dans des détails infimes.
Jean-Pierre Cometti, extrait de « L’attrait du dehors »,
in revue Il Particolare, n° 15 et 16,
2006, p. 17
1.Eugenio Montale, Os de
Seiche, Poésie / Gallimard
Philosophe et traducteur, Jean-Pierre Cometti est né en 1944
à Marseille.
Il est professeur au département de philosophie de l’Université de Provence, où
il enseigne l’esthétique. Il a publié plusieurs livres et études consacrées à
la pensée et à l’esthétique américaines, à l’œuvre de Robert Musil et à la
philosophie de Wittgenstein. A traduit, entre autres, Robert Musil, Ludwig
Wittgenstein, Nelson Goodman, Richard Rorty, C.S. Peirce et John Dewey
Parmi ses dernières publications :
L’art sans qualités, Farrago, 2000.
Questions d’esthétique (avec J. Morizot et R. Pouivet), PUF, 2000.
Art, modes d’emplois : esquisses pour une philosophie de l’usage, La
Lettre volée, Bruxelles, 2001.
Philosopher avec Wittgenstein, 2e édition revue, Farrago, 2001.
Art, représentation, expression, PUF, 2002
R. Musil, L’Homme sans qualités, nouvelle édition revue et augmentée, Le
Seuil, 2002.
Musil philosophe, Le Seuil, 2002.
Les définitions de l’art, La Lettre volée, 2004.
Wittgenstein et la philosophie de la psychologie, Presses Universitaires
de France, 2005
Sur le site du
cipM
bibliographie
complète sur le site de la revue française d’esthétique
Complément d’information
La seiche possède une coquille interne, l’os. C’est en fait sa coquille bien
qu’elle soit interne. Cette coquille « l’os de seiche » est remplie d’air et
permet à ce céphalopode de flotter sans efforts à n’importe quelle profondeur,
sans être obligée de nager en permanence….. pour
en savoir plus sur la seiche.
Lorsque la Seiche ressent un danger, elle peut projeter un nuage d'encre pour
troubler l'eau et dissimuler sa fuite. Cette encre noire (sépia) est utilisée
en aquarelle.
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