Marcher (ou l’art de mener une vie déréglée et poétique)

Publié le 12 septembre 2017 par Adtraviata

Quatrième de couverture :

Un beau jour, Tomas sort de chez lui et, poussé par une envie soudaine, décide de poursuivre son chemin. Laissant derrière lui sa femme et sa maison, avec pour seule feuille de route l’envie et le rythme, il s’embarque dans une promenade improvisée de plusieurs mois qui le conduit à travers la Norvège, au pays de Galles, à Paris, à Istanbul et dans les montagnes de la Transylvanie. Au fil de son escapade physique et spirituelle, le narrateur itinérant puise ses forces dans les oeuvres de nombreux écrivains marcheurs :  comme à un instrument philosophique : Whitman, Rousseau,  Kierkegaard, Hölderlin,  Rimbaud, Lawrence, Thoreau, Chatwin… la littérature jouant pour lui le rôle d’indispensable carburant.

Roman dénué d’artifice, quête des plaisirs simples, Marcher est un véritable hymne à la liberté, à la poésie et aux rencontres fortuites. Une vivifiante bouffée d’oxygène.

Ce livre de Tomas Espedal (auteur norvégien que je ne connaissais absolument pas avant de craquer pour ce titre et cette couverture) est un roman mais on peut en douter jusqu’aux dernières pages où on peut se demander si les voyages de Tomas ne se font pas uniquement en chambre, ce qui justifierait l’appellation de « roman ». Car tout au long des 246 pages sur 249, on croit accompagner le narrateur, Tomas, en Norvège dans la première partie et dans divers pays européens dans la seconde, comme dans un vrai récit de voyage.

Le voyage pour Tomas semble spontané : un beau jour il décide de partir d’une rue banale de sa ville (cela fait un peu penser au personnage d’Harold Fry ans le roman de Rachel Joyce). La simplicité de son matériel, son sens du détachement s’accompagnent d’un brin de fantaisie atypique : il voyage en complet, chaussé de bottes, un signe vestimentaire qui le fait distinguer des gens qu’il croise ou de ceux chez qui il s’arrête. S’il simplifie au maximum le contenu de son sac à dos, il n’oublie jamais des livres d’écrivains voyageurs, à commencer par Jean-Jacques Rousseau. Quand il s’arrête pour faire des provisions, il se fournit aussi en livres.

Il voyage seul à travers les fjords et montagnes de Norvège, et aussi en France où il suit les traces d’Eric Satie (qui parcourait chaque jour douze kilomètres pour aller boire dans un café où il arrivait déjà imbibé car il faisait plusieurs chapelles en route… et il en repartait donc dans un état assez avancé) et d’Arthur Rimbaud entre Charleville-Mézières et Paris, il évoque aussi les sculptures de Giacometti. Bon, il est vrai qu’il est déjà venu à Paris quand il était beaucoup plus jeune, en compagnie de sa petite amie et il raconte une scène torride dans un hôtel du Quartier latin (bon là, ok, c’est sans doute un peu romancé aussi).

Dans d’autres pays européens (le pays de Galles, la Grèce) et en Turquie,  il est accompagné de son ami Narve, l’un marchant devant l’autre à tour de rôle, pour que le premier exerce ses talents d’orientation et de décision et que le second puisse penser tranquillement en marchant. Les deux hommes font des rencontres à la fois banales et peu ordinaires (et pas seulement des humains) et l’alcool tient aussi une place non négligeable dans leurs pérégrinations. Au contraire de son ami, Tomas a une vision assez optimiste de la nature bien qu’il observe que l’intervention humaine gâche le paysage et l’écologie à long terme en Norvège, il sait qu’il trouvera (toujours plus haut dans la montagne) des lieux qui lui permettront de rêver.

Bon, il me faut avouer que je ne retiendrai sans doute pas grand-chose de ces voyages marqués de fantaisie et de multiples références artistiques mais la marche n’a pas été désagréable, sans doute aussi grâce à la qualité de la traduction.

« Le plaisir que vous procure une maison n’a rien à voir avec la satisfaction de posséder un logement, il est plus profond, il réside dans le fait d’avoir trouvé un lieu où se reposer, où il y a de la chaleur et de la lumière, où on peut s’asseoir près de la fenêtre pour regarder dehors; être dedans. Le plaisir de la maison, c’est le plaisir d’être dedans. Le plaisir d’être dehors découle du fait d’avoir trouvé une maison, elle n’a pas besoin de vous appartenir. » (p. 76)

« Mais en ce moment précis de ma vie je n’ai pas de chez moi. J’ai un endroit où habiter, j’habite seul, dans une chambre avec un matelas par terre, un bureau, une chaise, c’est tout. Une chambre d’attente. J’attends un changement, non, j’attends une transformation, quelque chose d’entièrement nouveau, une nouvelle vie ? J’attends quoi ? Cela commence aujourd’hui, la nouvelle vie, les nouvelles possibilités, il suffit de se lever, de se redresser, de secouer le sable et les rêves, d’enfiler son complet, d’endosser son sac et de s’en aller sur la piste ouverte. » (p. 137)

« Giacometti aimait marcher, il sillonnait les rues de Paris, il dessinait et prenait des notes. Pour lui, l’homme qui marche semble être une sorte d’archétype; une image originelle ou un modèle: l’être en mouvement, le personnage qui allonge le pas en balançant les bras, où va-t-il ? Que voit-il ? Nous le reconnnaissons, nous allons vers d’autres destinations, nous voyons autre chose, mais les sculptures de Giacometti illustrent et approfondissent deux états fondamentaux de la nature et de l’être humain: bouger et rester immobile. » (p. 156)

Tomas ESPEDAL, Marcher (ou l’art de mener une vie déréglée et poétique), traduit du norégien par Terje Sinding, Babel, 2015 (Actes Sud, 2012)

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