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(Note de lecture) Benoît Conort, "Sortir", par Véronique Pittolo

Par Florence Trocmé

ConortEn relisant Daniel Arasse, je retrouve l’idée que Vermeer désirant peindre fin avec la méticulosité descriptive du rendu, peignait en réalité flou.
La distance qui nous sépare du seuil de la maison au jardin, de l’entrée à la cour (ou à la rue), la proximité familière des lieux, sont-elles nettes ou floues ?
Le dernier livre de Benoît Conort explore ces couches inframinces de la réalité visible, si visible que sitôt vue, elle se brouille.

Pendant longtemps quand on sortait
c’était sans transition l’escalier une cour  ses pavés disjoints
Si peu d’herbes
On était dehors

Le livre est un ralenti sur les mouvements du corps, du regard, qui étirent le temps comme un long haïku incomplet :

Dans le rouge vêtue
Allongée déjà là
Dans tes vêtements
rouge
Il explore plusieurs tentatives formelles de décomposition du vers,
un jeu léger avec la langue, désinvolte, qui ne cherche pas à prouver ou à affirmer une certitude. Le sujet de cette poésie ne se veut pas révolutionnaire :
neutre, modeste (la nature familière, les seuils, le temps qui s’obscurcit
du jour à la nuit). Il nous donne à penser que la polémique entre les littéraux et les lyriques n’est plus recevable, qu’elle s’épuise.
Quand le même éditeur publie Conort et Bouquet, ou un autre éditeur Quintane et Royet-Journoud (ou Lucot et Carrère), on se demande où sont passés les Laurel et Hardy de l’avant-garde. Dans les anthologies ? (Rien n’est moins sûr).
Poésie sonore et poème écrit, le bruyant debout et le lyrique assis appartiennent désormais à la même tendance floue, d’un présent qui n’a plus besoin de se coltiner à la postmodernité. Que la mise en scène soit minimale (verre d’eau, plante verte), ou extravagante (voix rock, guitare électrique, performance), à la fin il reste toujours un texte, plus ou moins bien porté par un corps (une voix, une présence, un livre).
Conort s’amuse en faisant migrer ses poèmes du signifié au signifiant, en prenant en quelque sorte l’ombre pour la proie :
Le voici retournant l’ombre
le voit si retournant l’ombre
à l’ombre si
jeté d’ombre où
d’ombre prenant racines
au plus près d’ombre
Cette poésie ne cherche pas à valoriser l’ego du poète, qui sait que le réel est complexe, opaque, dispersé, que le poème est simplement une tentative pour réduire le monde visible à un objet lisible tout de suite, selon certains angles mais à portée de mains, de pieds : alors, à quoi bon Sortir aujourd’hui ? (semble dire l’auteur).
Peut-être s’agit-il d’un projet rousseauiste inversé : s’il a réduit les distances, le promeneur encore solitaire, songeur, dans la vague rêverie de son quotidien, au jardin, voit le mythe revenir (chrétien, païen, peu importe) :
Quelqu'un on l'entend
son pas dans les allées
s’écarte parfois d'une
haie mal taillée dont
les branches l’écorchent
Pourquoi cet écart qui ici
fut mis en croix jardin ancien
on se souvient d'un crâne
de qui en appelle
en vain à l'éden
répond gethsémani
pas d'olivier ou plus de paix

Véronique Pittolo

Benoît Conort, Sortir, 2017, 112 p., éd Champ Vallon, 13,50€


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