Parfois notre poème obscur...
Parfois le poème t'envoie à la figure son obscurité. Tu ressens d'autant mieux cela que tu croyais écrire dans un désir de grande clarté (ou de belle clarté, comme on voudra) pour essayer d'être au plus près (avec des mots) de tu ne sais pas quoi.
C'est comme si le poème te disait qu'il n'y a pas de vraie clarté possible, ni des choses du monde, ni de ces autres choses que notre parole avive dans le monde et qui sont les mots. Il s'agit toujours d'une obscure clarté qui ne tombe probablement pas des étoiles mais qui sourd, me semble-t-il, de la matière même du poème ; ou qui installe soudain un trou noir dans ce poème où s'engouffre à la façon d'un gant retourné toute sa matière.
Tu ne peux pas savoir ce qu'est cet obscurcissement (on n'y distingue rien, ce n'est peut-être rien). Tu pourrais l'effacer : effacer le bout de phrase qui empêtre ton habituelle et confortable clarté. Ce serait inutile : depuis le premier éclat de ce noir en tes écritures, tu sais que les phrases les plus transparentes noircissent vite, comme du bronze au soleil. Il faudrait tout effacer.
C'est peut-être parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a dans le désir d'écrire que l'obscurité de ce désir entame ainsi chaque parcelle du poème. Tout comme l'obscurité du monde bouge en chaque définition que nos dictionnaires donnent des mots.
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James Sacré, in revue Décharge, n°175, p.88.