Disons-le clairement. Le remake des Proies par Sofia Coppola n’égale pas le parfum de perversité de l’original. En voulant réhabiliter les personnages féminins, la cinéaste les rend paradoxalement bien plus insipides et consensuels que dans la version de Don Siegel.
Pudeur féministe
La pudeur – pour ne pas dire la pudibonderie, tant les prières de Miss Martha (Nicole Kidman) scandent le récit – étouffe un sujet à forte tension sexuelle. Alors que la première adaptation du roman de Thomas Cullinan mettait en lumière les pulsions qui ravageaient chaque être, de l’incestueuse maîtresse de maison à la jeune fille nymphomane, Sofia Coppola élude ces inconscients troublés. Déjà par le casting, pourtant prometteur. J’attendais beaucoup de Nicole Kidman, Kirsten Dunst (Miss Edwina) et Elle Fanning (Miss Alicia), dont la propension à la bizarrerie érotique marque le jeu depuis Twixt (Francis Ford Coppola, 2011) et The Neon Demon(Nicolas Winding Refn, 2016). Or, hormis Kidman, les actrices ne dégagent aucune aura sexuelle ; corsetées de blanc comme des choux à la crème, elles restent bien pâles par rapport à leurs aînées des années 70. Quant à Colin Farrell, qui reprend le rôle de John MacBurney au même âge que Clint Eastwood (41 ans), il souffre de la comparaison avec son illustre prédécesseur : alors qu’Eastwood trône au sommet de sa beauté virile, les tempes grisonnantes et les cheveux poivre et sel de Farell accusent son déclin physique. Sa voix n’ayant pas non plus le charisme séduisant d’Eastwood, l’acteur ne dérange pas le moins du monde. Ce qui faisait le charme du premier film – un ensemble de gestes, de sourires, d’intonations qui trahissaient un émoi physiologique – disparaît donc d’une nouvelle version propre sur elle.Ne reste à l’image qu’une surface parfaitement lisse, curieusement récompensée par le prix de la mise en scène à Cannes. Certes, on ne peut qu’apprécier la lueur du soleil levant sur la demeure coloniale et les doux reflets du soleil à travers les rideaux de mousseline ; mais cette photogénie à la gloire de la nature sudiste dissimule mal les horreurs refoulées sur lesquelles Coppola l’a jetée. La beauté classicisante du film n’est que la façade du féminisme blanc bourgeois arboré par Coppola.
Un gynécée bien propret
Se pose donc une question cruciale : innocenter les femmes de toute pensée malsaine est-elle une bonne chose ? En multipliant les gros plans sur des activités féminines (broderie, musique, jardinage…), Coppola tend à isoler ses personnages dans un entre-soi coupé du reste du monde, une sorte de paradis sur terre dédié aux femmes. Bien sûr, certains personnages comme Edwina et Alicia déplorent timidement leur claustration par Miss Martha ; mais le gynécée volontaire reprend bien vite ses droits, et la révolte individuelle s’efface dans la structure collective.Pour être une femme libre, faut-il donc vivre comme des religieuses ? Le portrait assagi que dresse Coppola de ces femmes se révèle en fin de compte plus sexiste, si l’on peut dire, que la version de Don Siegel : dans celle-ci prédominait une égalité des vices, que l’on pourrait rattacher à la tradition libertine du XVIIIesiècle, alors que les personnages de Coppola excluent toute pensée charnelle. Telles des saintes à peine troublées par la présence d’un homme, lui aussi bien innocenté par-rapport au rôle d’Eastwood, elles vivent dans un monde supra-humain – ou infra ? – où l’on feint d’ignorer la sexualité. Peut-on légitimement parler de féminisme, dès lors que l’on relègue les femmes hors du monde humain ?
Les Proies, de Sofia Coppola, 2017Maxime