Un poème. Cet objet en formation — Le poème comme travail —
Un classique.
Les vagues mouillées d’Homère, non
pas nos vagues mouillées, mais, dans
ces deux mots, assez d’associations pour rendre un contexte capable de
s’étendre depuis son lieu jusqu’au présent. Parce qu’il y a, même si les
significations changent, une étiquette linguistique, une archive qui peut
rester claire pour nous comme image d’un contexte passé — le contexte tel qu’à
l’origine il signifia — ou bien, si l’on ne peut y croire, un équilibre atteint
— ou du moins le passé que nous ne pouvons même deviner, mais qui atteint un
équilibre de sens déterminé par les significations nouvelles surgissant dans le
mot à mot.
Un poème : un contexte associé à une forme « musicale »,
musicale entre guillemets puisqu’il ne s’agit pas de notes, mais de mots plus
variables que les variables et employés à l’extérieur comme à l’intérieur du
contexte pour une référence communicative.
Impossible de communiquer autre chose
que des singularités — historiques et contemporaines — des choses, des êtres
humains comme choses, leur appareillage de capillaires et de veines entrelaçant
les événements, les circonstances, et s’entrelaçant avec eux. Le mot
révolutionnaire, s’il doit accomplir sa révolution, ne peut se libérer d’une
référence. Il n’est pas infini. Mais infini est un terme.
L’ordre, pour toute poésie, consiste à s’approcher d’un état de musique où les idées s’offrent aux sens et à l’intelligence, dénuées de toute intention prédatrice. Un dur travail, comme le savent les poètes, qui s’évertuent à réconcilier les principes contrastés des faits. Dans la poésie, le poète ne cesse de rencontrer les faits, qui semblent faire obstacle à la musique en cours de route, bien que ni musique ni mouvement ne puissent exister sans eux, sans les faits qui leur sont propres. Matière première, pour parler vite, qui attend le sceau de la forme. Les poèmes ne sont que des actes exercés sur les singularités. Et par cette seule activité ils deviennent eux-mêmes des singularités — c’est-à-dire des poèmes.
Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduit de l’américain par Pierre Alféri, Un Bureau sur l’Atlantique / Éditions Royaumont, 1989, p. 18-19 et p. 23.
je remercie Tristan Hordé pour cette contribution