Emiliano Monge
Philippe Rey
Traduit du mexicain par Juliette Barbara
Août 2017
348 pages
22 euros
Roman étranger/ contemporain
Quatrième de couverture : Au fond de la jungle mexicaine, des projecteurs s'allument en pleine nuit : un groupe de migrants, trahis par leurs passeurs, est pris d'assaut par des trafiquants. Certains sont exécutés, les autres sont stockés dans des camions pour être livrés alentour. Sous la direction des deux chefs de bande, Estela et Epitafio, les convois prennent la route des montagnes. Ces terribles amants jouissent de leur pouvoir et des souffrances qu'ils infligent. Liés par un amour indéfectible, ils tentent vainement de communiquer pour se dire leurs sentiments et leurs espoirs d'une nouvelle vie. Tenu en haleine, le lecteur navigue entre les différents protagonistes et se surprend à s'attacher à eux : Estela et sa cargaison dans une direction, Epitafio dans une autre, son homme de main occupé à ourdir quelque vengeance, les jeunes passeurs qui répètent inlassablement leur triste tour... tandis que le choeur des migrants devient peu à peu "sans voix, sans âme et sans nom". Dans ce récit construit avec une impeccable maîtrise, Emiliano Monge met à nu l'horreur et la solitude, la puissance du mal, mais aussi l'amour, la loyauté et l'espérance qui animent les êtres, même les plus vils. Tragédie moderne à la prose rythmée, Les terres dévastées happent le lecteur dans un tourbillon aussi bouleversant que dérangeant.
Les terres dévastées a été récompensé en 2016 par l'un des plus importants prix littéraires sud-américain, le prix Elena Poniatowska. L'intrigue se déroule en pleine nuit, dans la jungle mexicaine... un groupe de migrants est pris au piège par des trafiquants, trahis par des passeurs. Certains hommes sont exécutés, des femmes battues ou violées, puis les survivants sont parqués dans des camions pour être livrés comme esclaves dans les environs. Deux chefs de file, Estela et Epitafio se séparent et prennent la tête de deux convois. Ils sont amants mais ne se dévoilent pas entièrement dans un monde fait de violences, de trahisons, d'instabilité. On devine que leur passé a été marqué par les épreuves... ils en ont bavé pour arriver là où ils sont mais eux-mêmes possèdent une fermeté, un esprit tout aussi dur. Les victimes sont passées du côté des bourreaux. Ils infligent souffrances et injustices, à leur tour... et bientôt ils sont sur le point de se faire trahir...
Les terres dévastées est un roman qui m'a dérangé, profondément, grâce à une écriture poignante, dépaysante, transperçante... L'auteur nous plonge au coeur d'un contexte que l'on savait difficile, extrêmement délicat et violent... révoltant mais il écrit avec une telle intensité, avec un style introspectif que cela nous immerge complètement au coeur des souffrances des migrants, au coeur de la cruauté infligée par les narrateurs. D'un côté nous avons le récit des deux trafiquants qui veulent établir une communication à distance mais n'y arrivent pas ( ce qui vaut quand même certains passages agaçants!!), un récit cru ponctué de vulgarité car pour se faire respecter, il faut savoir, même pour une femme s'affirmer verbalement et en imposer - de l'autre nous avons des apartés en italique qui retranscrivent les pensées des migrants qui prient pour que le calvaire s'arrête et nous décrivent tout ce qu'ils vivent et appréhendent, eux qui perdent toute humanité, toute dignité et qu'on va finir par appeler "sans voix, sans âme, sans nom". D'autres protagonistes sont en jeu : Sepelio qui prépare une belle vengeance avec le concours de l'odieux et dégoûtant père Nicho, patron de l'orphelinat qui orchestre tout ce trafic d'humains, les deux passeurs qui ont livré les migrants et qui dans la forêt récupèrent les affaires pour les revendre.
Le lecteur peut voir dans Les terres dévastées le processus psychologique dans lequel est plongé les migrants, comment il est réduit à de la marchandise, comment il est maltraité et rabaissé. L'écriture est alerte, sur le qui-vive, à la fois sauvage et hostile, elle nous fait mal, elle dérange, elle pique les yeux et est puissante. Elle m'a fait remuer sur mon canapé lorsque la scène était trop insoutenable, impossible de garder mon calme, d'être impassible. Le rythme est bon, les mots sont choisis avec soin parfois c'est même très beau, on nage en pleine solitude, en désespoir de cause, certains que cela va mal finir. J'ai eu du mal à m'attacher aux personnages et ne cherchez pas les bons sentiments, même si il y en a dans le roman, dans le coeur d'Estela et d'Epitafio... Oubliez l'exotisme de la pampa mexicaine, oubliez l'évasion d'une Amérique latine séduisante... Les terres dévastées est le triste reflet de ce que peut devenir l'être humain, dans toute sa lâcheté et sa laideur. Un roman choquant car je ne crois pas avoir lu quelque chose d'aussi révoltant... mais une belle plume qui reste remarquable pour cette rentrée littéraire.