" Pour mécéner, il faut aimer. ".
L'homme d'affaires et mécène Pierre Bergé est mort le matin de ce vendredi 8 septembre 2017 chez lui à Saint-Rémy-de-Provence à l'âge de 86 ans (il est né le 14 novembre 1930 à Saint-Pierre-d'Oléron). Sa mère était morte à l'âge de 107 ans en 2015 et il l'avait caché jusqu'à une émission sur France 3 le 23 février 2016. Il aurait voulu choisir lui-même sa fin de vie, arrivée trop tôt, avant l'ouverture de deux musées qu'il avait créés, et il avait préparé minutieusement sa succession, en se mariant même (discrètement) à la fin mars 2017 avec son compagnon désigné exécuteur testamentaire.
L'ancien Ministre de la Culture Jack Lang lui a rendu un hommage plein de superlatifs sur Twitter : " Pierre Bergé était un grand seigneur, un authentique prince des arts et de la culture. Lettré exemplaire et mélomane intransigeant, il était un magicien faisant de sa vie et de celles et de ceux qu'il aimait une symphonie du bonheur. Il inventait l'impossible et à l'instar de Jean Cocteau, il savait que ce qui ne s'évanouit pas, ce sont les rêves. (...) C'est notamment grâce à lui que Paris est redevenue la capitale mondiale de l'art lyrique. (...) Dès 1982, nous organiserons les défilés dans la cour carré du Louvre, affichant ainsi clairement l'importance de la mode. (...) Pierre Bergé était aussi et avant tout un ami merveilleux, à la fidélité exemplaire pour qui l'amitié était un impératif absolu. (...) C'était un révolutionnaire fougueux et joyeux qui voulait changer le monde en le rendant plus beau, plus juste, plus grand. (...) Sa disparition est pour nous tous une perte immense, et tels les artistes qu'il vénérait, et qu'il a inlassablement encouragés et aidés, il laisse à la postérité une œuvre incommensurable. " (8 septembre 2017).
À en croire la plupart des (anciens) responsables socialistes qui louent aujourd'hui sa mémoire (qu'il repose en paix), ce fut un homme d'une grande qualité et ce fut certainement le cas. On comprend néanmoins ces louanges en sachant qu'il a été, depuis le début des années 1980, le financier principal du Parti socialiste et notamment de François Mitterrand, Ségolène Royal, Vincent Peillon, François Hollande, également de structures comme SOS-Racisme.
Reconnaissant qu'il n'a jamais été un artiste, ce qu'il aurait voulu être, il a été avant tout celui qui a su excellemment "manager" le génie du grand couturier Yves Saint-Laurent (1936-2008) qui fut son compagnon et son associé. Pierre Bergé, président de la Fondation Pierre-Bergé Yves-Saint-Laurent, était à la tête d'une fortune estimée par "Chalenges" à 180 millions d'euros. Il a beaucoup œuvré (et donné) pour la culture, le théâtre, l'opéra, et aussi la presse écrite ("Globe", "Têtu", et dernièrement, depuis juin 2010, le groupe "La Vie"-"Le Monde" avec d'autres millionnaires, Xavier Niel et Matthieu Pigasse). Très jeune, Pierre Bergé avait fréquenté les milieux culturels, aussi bien littéraires ( Albert Camus, Jean-Paul Sartre, André Breton, Louis Aragon, Jean Cocteau, Jean Giono, Pierre Mac Orlan, etc.) que picturaux (Bernard Buffet, etc.). Un peu plus tard, il a produit dans un théâtre qu'il a racheté des concerts, des pièces de théâtre et des spectacles notamment de Philip Glass, John Cage, Antoine Vitez, Marguerite Duras, Peter Brook, etc.
Militant de la "cause homosexuelle", il utilisa toute son influence pour faire progresser la reconnaissance du droit à l'homosexualité, puis au PACS, puis au mariage gay, puis toujours à d'autres droits comme le "droit à l'enfant" (en opposition aux droits de l'enfant), etc. Soutenant régulièrement les candidats socialistes, tant à l'Élysée (François Mitterrand et Ségolène Royal) qu'à la mairie de Paris ( Bertrand Delanoë), Pierre Bergé a apporté en janvier 2017 son soutien à la candidature d' Emmanuel Macron (après son soutien en 1995 à celle de Jacques Chirac).
Peut-être parce que la richesse donne non seulement pouvoir et influence, mais aussi une sorte de droit à tout dire ou tout penser, Pierre Bergé a suscité de nombreuses polémiques et a montré quelques valeurs élastiques avec l'humanisme dont il se réclamait...
J'en cite quelques-unes.
Favorable aux mères porteuses pour que les couples homosexuels hommes puissent aussi avoir des enfants, Pierre Bergé a choqué en affirmant le 17 décembre 2012, en plein débat sur le mariage gay : " Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant. ". De là à imaginer que Pierre Bergé considérait les ouvriers comme des prostituées...
Toujours aveuglé par son militantisme libertaire, Pierre Bergé a twitté le 16 mars 2013 : " Si une bombe explose sur les Champs [-Élysées] à cause de la Manif pour tous, c'est pas moi qui vais pleurer. ". Il a beau avoir réaffirmé sa non-violence (le 21 juin 2013 sur Canal Plus), ce genre de propos pouvait être interprété comme un appel à la violence contre les opposants au mariage gay.
Anticlérical notoire, il proposa le 26 septembre 2013 la suppression de toutes les fêtes chrétiennes et considérait en novembre 2016 que les électeurs de François Fillon faisaient partie de la " France pétainiste ".
Sur France Info, le 21 novembre 2009, président du Sidaction (depuis 1996 ; il était très actif dans la lutte contre le sida à partir des années 1980), Pierre Bergé a fait une sortie scandaleuse en voulant comparer avec d'autres causes, en accusant le Téléthon qui, selon lui, " [parasitait] la générosité des Français d'une manière populiste " en montrant " des enfants myopathes, en exhibant [leur] malheur ". Il a accusé le Téléthon d'avoir trop d'argent : " J'accuse que 100 millions pour le Téléthon ne sert (sic) à rien ! ". Il fut condamné pour diffamation le 28 juin 2013. Il se sentait le droit d'attaquer ainsi : " Je suis une des rares personnes qui puissent s'opposer au Téléthon puisque je suis myopathe. ". La présidente de l'Association française contre les myopathies, Laurence Tiennot-Herment a vivement réagi à ces propos : " Cette accusation de populisme est une insulte pour nos malades et nos enfants ! ". Manuel Valls, qui loue aujourd'hui le mécène, a à l'époque vivement (simple député-maire) critiqué le fait de " [créer] une concurrence ignoble entre les grandes causes " en " [installant] un climat de suspicion ".
Le comportement de Pierre Bergé comme patron de presse ne fut pas non plus sans polémique, ses colères étant nombreuses contre des articles du journal "Le Monde" (dont il présidait le conseil de surveillance depuis le 15 décembre 2010) qui ne lui plaisaient pas, bénéficiant, selon le journaliste Benjamin Dormann, de la " quasi-immunité médiatique qui l'autorise à manquer de respect à des salariés, à en menacer, et en insulter d'autres ; le tout sans conséquence aucune, puisqu'il tient le chéquier " ("Atlantico", le 14 décembre 2014).
Pendant quelques années, président des Amis de l'Institut François-Mitterrand, Pierre Bergé, cultivé mais colérique, cherchant les honneurs (il a été décoré de nombreuses fois : grand officier de la Légion d'honneur, officier de l'ordre national du Mérite, commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres, etc.), a été candidat malheureux à l'Académie française le 22 mai 2008 et a été battu 7 voix contre 16 au conservateur Jean Clair (ex-directeur du Musée Picasso).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 septembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Pierre Bergé.
François Mitterrand.
Ségolène Royal.
Bertrand Delanoë.
Jack Lang.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170908-pierre-berge.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/pierre-berge-le-millionnaire-196584
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/09/08/35657296.html