Rentrée. «L’histoire ne fait rien, c’est l’homme, réel et vivant, qui fait tout.» Relisant cette phrase de Karl Marx, le bloc-noteur de retour à la rédac, comme aux temps anciens de la camaraderie, ne put réfréner le tourbillon de la pensée déjà prisonnière d’une rentrée pour le moins singulière. Drôle de climat, n’est-ce pas ? Deux dirigeants tarés brandissent la menace nucléaire ; le Parti socialiste a disparu des radars ; la droite se droitise toujours plus ; le premier ministre brasse de l’air ; le moustique-tigre perturbe le Sud-Ouest ; il n’y a pas eu et il n’y aura pas de «moment Macron» ; le miel bon marché ne serait que du sucre liquide de riz ou de maïs ; la loi travail XXL provoque de l’effondrement ; les syndicats paraissent pour l’heure divisés ; dans les Pyrénées, les bergers sortent les fusils contre les ours ; des maires de Seine-Saint-Denis sont convoqués au tribunal parce qu’ils défendent le droit au logement ; plus de la moitié des Anglais se déclarent désormais athées ; le monde s’engloutit un peu partout par les eaux, les vents ou par des atteintes aux droits de l’homme ; les réfugiés tentent de se réfugier ; le pape passe à confesse dans un livre d’entretien fascinant ; l’art de la philosophie chez les moins de trente ans serait en perdition ; et Jean-Luc Mélenchon ne sera pas à la Fête de l’Humanité…Crise. À propos de philosophie, Ludwig Feuerbach (1804-1872) affirmait dans l’Essence du christianisme qu’elle devait trouver son prolongement dans l’action politique, seule capable de libérer l’homme de ses aliénations – ce qui inspira Marx. Pourquoi évoquer cela, alors que Mac Macron s’enfonce à pic dans tous les sondages d’opinion? Parce que la période montre de manière éclatante que rien n’avancera sans transformation radicale de l’État, du haut en bas. Car l’État n’est pas, comme le croyait Hegel, l’incarnation d’un absolu au-dessus des classes, mais bien le reflet des rapports économiques et sociaux d’une époque, entre les mains d’un pouvoir.
Pour le dire autrement, nous sentons confusément que la crise politique française peut, à tout instant, virer à la crise de régime. Pourquoi pas à la faveur d’un automne social chaud bouillant? Une rareté dont il serait urgent de se méfier, non? Si les «changements de phase» (du minéral au végétal, par exemple, ou du liquide au solide) restent un casse-tête pour les scientifiques, si les climatologues et les astrophysiciens se disputent encore et encore sur les conséquences du rayonnement solaire pour notre vie sur terre et son réchauffement, nous comprenons aisément la difficulté qu’ont les historiens des mentalités à périodiser une modification en profondeur du «climat culturel et politique». Souvenons-nous. À quelle phase exacte situer le passage du social au sociétal, de l’égalité à l’équité, de ce qui se modifie avec harmonie à ce qui devient «moderne», du militant au notable, de la culture pour tous à la culture pour chacun, du bio à l’industrialisation du bio, de la fraternité au compassionnel, du «changer la vie au changer de cantine» (dixit Régis Debray), du petit-bourgeois au bobo, etc.? Fernand Braudel nous a enseigné ceci: «Le but secret de l’histoire, sa motivation profonde, n’est-ce pas l’explication de la contemporanéité?» Que nous dit-elle aujourd’hui, en France? Que Mac Macron, avec sa théorie du «nouveau monde», a surfé sur l’envie du peuple – réelle – de renverser la table: jusqu’à la croyance aveugle, qui n’est rien d’autre que l’archétype d’une idéologie qui néglige l’existence aliénée du phénomène politique en lui-même. Toute croyance, religieuse ou non, n’est que le produit et le reflet déformé des conditions sociales de la vie des hommes. Toute pratique sociale, dans ses structures établies, produit des représentations: en même temps que se modifient le travail et les conditions du travail, les techniques et les formes sociales, se modifie la conscience des hommes. Attendrons-nous longtemps pour en avoir confirmation? [BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 8 septembre 2017.]
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