Attaques de Paris : «Ceux qui sortaient leurs portables étaient exécutés au Bataclan»

Publié le 14 novembre 2015 par Economieenpaca

Benjamin et Célia, 43 ans, juriste et architecte, parents de deux filles de 8 et 5 ans ont survécu par miracle à l'attentat au Bataclan. Témoignage poignant vu de l'intérieur.

Benjamin et Célia étaient au Bataclan vendredi soir. Ils racontent l'horreur des corps qui tombaient sur eux. Les flaques de sang et les détonations. Et aussi ces quatre assaillants jeunes, calmes, "pas beaux, mais pas la tête du diable".

"Nous sommes arrivés au Bataclan vers 20h30. Le concert a démarré vers 21h. Nous étions près de l'entrée, vers le bar. Nous étions debout, le Bataclan était plein à craquer. Quelques personnes étaient assises à l'étage au balcon. C'est un groupe de rock assez fun, le public avait entre 20 et 50 ans. Certains parents avaient emmené leurs adolescents. L'ambiance était très joviale. Le groupe jouait depuis environ une heure. Ils venaient de dire "On vous aime Paris" et avaient entamé la chanson Kiss the Devil avec les paroles: I Meet the Devil And this Is His Song ", quand on a entendu très clairement des détonations derrière la porte d'entrée. Célia: "Comme le concert était rigolo, j'ai cru à des pétards et comme je n'aime pas ça, je me suis écartée de Benjamin vers la droite. J'ai reçu un truc dans les fesses, j'ai vu bien plus tard que c'était un éclat de balle."

" Attentats de Paris: suivez notre live

Quand le bruit des détonations s'est rapproché, on a compris. On a tout de suite plongé à terre. Le sang giclait partout autour de nous. Benjamin: "Je voyais Célia mais pas son visage. Un corps est tombé sur moi, il s'est vidé de son sang sur mes jambes. Une femme près de moi avait le visage en sang mais elle était vivante. Mon voisin, un homme de 50 ans, s'est fait tiré dessus en pleine face dans la tête, des éclats de cervelle et de chairs sont tombés sur mes lunettes. J'entendais les balles fuser. J'ai essayé de regarder le sol, c'était une immense flaque de sang. J'étais étonnamment calme, j'ai senti mon heure arriver."

"J'ai pensé aux filles. On n'avait pas le droit de mourir maintenant"

Célia: "Je ne bougeais pas. J'ai pensé aux filles. On n'avait pas le droit de mourir maintenant. Je ne voulais pas mourir, pas là. J'ai bien vu les assaillants. Je crois qu'ils étaient quatre. Ils étaient à visage découvert, très jeunes, dans les 20 ans. Ils n'étaient pas spécialement beaux, mais pas du tout la tête du diable. Ils portaient des gros blousons. L'un des blousons était beige. Deux des assaillants étaient tout de noir vêtus. Celui qui avait un blouson beige avait une barbe courte. Ils étaient typés Moyen-Orient mais parlaient français sans aucun accent." Une description confirmée par un autre spectateur qui a vu, de son côté, deux assaillants: "L'un portait un survêtement gris et une casquette, l'autre un survêtement noir. Ils avaient chacun une mitraillette en bandoulière à la main. Le premier devait avoir une vingtaine d'années, les traits fins, typé nord-africain, un jeune maghrébin à la peau claire. L'autre, un peu plus grand et plus baraqué, était peut-être un peu plus âgé, mais pas plus de 30 ans. Je me souviens qu'il avait les cheveux courts", explique Cédric, 41 ans.

L'un d'eux a dit: "Vous avez tué nos frères en Syrie, nous sommes là maintenant", tout en tirant sur la foule. Ils étaient pros: ils chargeaient et rechargeaient leurs fusils. C'était une fusillade non-stop. L'un d'eux a dit: "Le premier qui bouge son cul, je le tue." Célia: "Mon portable était allumé car je venais de filmer des bouts de concerts mais je ne l'ai pas sorti. Heureusement, ceux qui le sortaient étaient tués immédiatement. J'ai bien fait attention à ne pas croiser leurs regards."

"Ceux qui sortaient leurs portables étaient tués immédiatement"

Au bout d'un long moment, peut-être quinze minutes, on a entendu une cavalcade. On a espéré que c'était la police mais c'était une dizaine de gens qui courraient d'un bout à l'autre de la salle. Il y a eu des échanges de tirs.

Après, il y a eu un petit répit. Un groupe a réussi à sortir par la porte d'entrée. Célia: "A ce moment-là, j'ai réussi à rejoindre Benjamin. On s'est levé. Il y a eu une bousculade mais il y avait beaucoup de blessés. Beaucoup ne pouvaient pas bouger et leurs amis voulaient rester près d'eux. A nouveau, il y a eu des coups de feu. On a tous replongé par terre. Quelques minutes plus tard, un homme avec un brassard de police a hurlé "dépêchez-vous, sortez, sortez!". C'était vers 22h30, bien avant l'assaut final. On a enjambé des corps. L'escalier était jonché de cadavres. Benjamin était derrière moi, il ne m'a pas vu sortir. Une fois en bas de l'escalier, on s'est retrouvé, on s'est pris la main. On entendait encore des tirs dans la salle. On a vu les fenêtres et les portes brisées et les corps des vigiles. On a couru comme on a jamais couru dans la rue. Autour de nous, ce n'était pas une vague massive, on était peu, seuls ceux près de la porte d'entrée ont pu sortir, les autres étaient coincés à l'intérieur et sont restés otages. On a eu beaucoup de chance d'être vers la sortie. Un policier nous a récupérés et nous a emmenés vers une porte cochère d'un immeuble voisin. Les blessés étaient regroupés là. Un homme est mort malgré un massage cardiaque. Les pompiers sont arrivés, ils étaient très peu nombreux, cinq seulement. Un policier nous a demandé de ne pas bouger. La police, les pompiers et le Samu étaient peu nombreux à ce moment-là, ils étaient débordés."

"C'est un soulagement que les assaillants soient morts"

Benjamin: "Les gens de l'immeuble sont descendus, ont offert à boire et une famille nous a recueillis dans son appartement. Ils ont mis un drap sur leur canapé car nous étions couverts de sang, de la tête, des cheveux, du visage aux pieds. L'adolescent de la famille m'a offert un tee-shirt. Quand je suis allé dans la salle de bains au bout d'une heure, j'ai découvert à quel point j'étais couvert de sang et de bouts de cervelle. Un ami est venu nous chercher à quatre heures du matin. On avait besoin de voir des gens qu'on connaissait. (Pleurs).

On est en vie. Mais les images dans la tête sont super dures. Cela fait du bien d'en parler aussi. On va avoir besoin d'une aide psychologique. On a beaucoup de chance. Nous étions à la fois tout près des assaillants et près de la sortie. C'est un soulagement que les assaillants soient morts. Nos filles dorment toujours chez la mère de Célia. Heureusement. Nous avons besoin de nous reposer un peu avant de les retrouver."

Léna LUTAUD, Sarah LECOEUVRE - Le Figaro