Polytechnique (2009), Denis Villeneuve

Par Losttheater

Une université, un tueur dérangé, trois vies, aucune psychanalyse, aucune politique, aucun message manifeste, juste de l’émotion et de l’empathie.

Le 6 décembre 1989, un étudiant mentalement instable à l’école Polytechnique de Montréal a pris un fusil semi-automatique chargé et a déchaîné le campus, visant particulièrement les femmes, qu’il a brièvement décrit comme des « féministes ». Une université, une ville et une nation se sont unifiés dans le chagrin, le choc et la colère. Ce qui est devenu une histoire horrible bien trop fréquente de nos jours était alors inimaginable en 1989. Les morts ont été pleuré, des lois sur les armes à feu plus strictes ont été mises en place et l’événement s’est effacé des mémoires. Vingt ans plus tard, le réalisateur canadien Denis Villeneuve a décidé de traverser un cycle de médias désensibilisés et de montrer au public de quelle sorte de tragédie il s’agit vraiment.

Sur le prestigieux campus, un jour normal avant les vacances d’hiver, un étudiant dérangé se prépare à une attaque contre ses camarades. Une autre étudiante, Valérie, se prépare pour un entretien qui la mènera éventuellement à une carrière dans l’ingénierie. De son côté, Jean, un autre étudiant attend patiemment les vacances. La narration tourne autour de cette horrible journée dans la vie de ces trois personnages qui ne seront plus jamais les mêmes après. Tous les chemins se croisent de manière terrifiante.

Notre premier aperçu de cette histoire semble nous placer parmi les travaux monotones d’un campus dans une salle des photocopies. Très vite, un assaillant tire des balles à travers la pièce et fait beaucoup de blessés. Mais nous somme soudain transportés en arrière, au début de la journée. Denis Villeneuve utilise ce retour dans le temps pour signifier que son histoire est construite d’une manière non linéaire en traçant des points de temps distincts. Cette approche joue son effet plus tard dans le film où l’on voit des scènes de perspectives différentes. La scène cruciale du film dans laquelle le tueur commence son attaque nous est montrée trois fois. Cela permet de renforcer l’émotion selon le point de vue.

Dans ses films, Denis Villeneuve se sépare des préjugés et des perceptions, toutes ces petites choses, pour arriver au vrai cœur des histoires qu’il transmet. Dans Polytechnique, il nous guide dans son récit dramatisé d’un événement avec lequel nous sommes devenus beaucoup trop à l’aise. L’événement lui-même était terrifiant, les impacts durables le sont d’autant plus. Villeneuve fait tout ce qu’il peut en tant que cinéaste pour diminuer la controverse qui entoure généralement ce genre de projet. Pour s’assurer que la violence qu’il décrit n’apparaisse pas comme gratuite, il fait le choix du noir et blanc pour réduire l’effet du sang sur l’écran. Le noir et blanc rend aussi le carnage beaucoup plus morne que la normale et donne aux spectateurs un accès à un échappatoire quand vient le troisième acte. Une distance est installée pour rappeler au public que même si l’émotion est forte, il a la chance de ne pas la vivre réellement. Pour ne pas dramatiser sur le meurtrier, on ne lui donne jamais de nom à l’écran ou dans les crédits, juste « The Killer ». Les émotions de cette journée, c’est uniquement ce qu’il nous reste.

Denis Villeneuve ne cherche pas à marteler le public avec un message anti armes à feu, ou prêcher le besoin d’identifier les signes pour repérer les tueurs de masse. Polytechnique ne fait que documenter l’événement et nous questionne sur notre ressenti : colère, dégoût, sympathie, remords, tristesse ? Tous sont valables grâce à la manière dont le film est construit, il ne manipule pas, il déclenche de l’empathie. Nous ne pouvons pas comprendre quelque chose de si tragique comme une fusillade de masse, cela nous laisse avec tant d’émotions contradictoires, qu’elles sont presque impossibles à rationnaliser. Denis Villeneuve cherche ici à faire quelque chose que seul le cinéma a le pouvoir étonnant de réaliser : nous faire comprendre progressivement et naturellement l’incompréhensible et l’inimaginable.

Malgré un sujet horrible et traumatisant, Polytechnique est un film étrangement beau. Denis Villeneuve traite le sujet avec le plus grand respect et délivre un rejet complet de toutes les doctrines de haine.

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