Encore vivant de Pierre Souchon 3,75/5 (01-08-2017)
Encore vivant (247 pages) est disponible depuis le 16 août 2017 dans la collection La Brune des Editions du Rouergue.
L’histoire (éditeur) :
Alors qu’il vient de se marier avec une jeune femme de la grande bourgeoisie, l’auteur, bipolaire en grave crise maniaco-dépressive, est emmené en hôpital psychiatrique. Enfermé une nouvelle fois, il nous plonge au cœur de l’humanité de chacun, et son regard se porte avec la même acuité sur les internés, sur le monde paysan dont il est issu ou sur le milieu de la grande bourgeoisie auquel il se frotte. Il est rare de lire des pages aussi fortes sur la maladie psychiatrique, vue de l’intérieur de celui qui la vit. Ce récit autographique est le premier livre publié par Pierre Souchon, journaliste au Monde diplomatique et à L’Humanité.
Mon avis :
Pierre, clochard depuis un mois, en rupture totale avec ses proches, est arrêté dans les rues de Montpellier en pleine phase manique, avec dans ses sacs son fusil et des centaine munitions. A deux doigts de basculer en garde à vue, il est finalement interné, lorsque son passé refait surface.
« La camisole
La camisole
Je comprends. D’un seul coup. Je comprends que je ne suis pas en enfer. Que je n’y ai jamais été. Que je me retrouve à l’hôpital parce que je déconne à pleins tubes, en zinzin carabiné que je suis. Je le dis aux infirmiers.
-Excusez-moi, je réalise tout. Je suis bipolaire. Ne me mettez pas de camisole, ne e donnez pas de cachets, ça ne sert à rien : j’ai juste besoin d’être seule pour me déshabiller et me coucher. Ça fait plus de huit jours que je n’ai pas dormi. » Page 15-16
Lui qui s’était juré de ne pas revivre la même expérience qu’à ses vingt ans, est de retour aujourd’hui en HP.
« J’en étais sorti. Avec la rage immense au ventre, terrible aux tempes – jamais, jamais je n’y retournerais. Lucas dort maintenant, et allongé sur mon lit, j’entends les cris. Je les sais tous. Et tous les cris de la littérature ne servent à rien pour les dire, les cris d’effroi, de désespoir, de détresse, ceux qui déchirent les silences, tous les longs cris, les cris aigus, les cris stridents, les cris de douleurs. Les nôtres tissent une solidarité nocturne de l’horreur, celle de nous être perdus celle de savoir qu’on ne sera plus. Nous sommes vaincus à nous en arracher la gorge. Dans ce désastre, pour l’adversité, il reste les infirmiers. Demain, j’en prendrai un en otage. Bande de fils de putes, qu’ils attendent un peu, juste un peu. Juste cette nuit. » Page 36
Pierre Souchon, auteur, narrateur, nous fait part de son expérience. Deux mille lieues d’un récit journalistique (et encore moins d’un texte visant une explication scientifique ou médicale), il nous emmène dans la bipolarité. Et, avec lucidité, passion, justesse, fougue et aussi humour, il retrace ses années entre périodes stables, crises maniaco-dépressives, reconstructions, dérives, il parle de sa maladie, de ses relations avec la médecine, de lui, de son mariage avec son soleil Garance et avec lui son intégration douloureuse dans le monde de la bourgeoisie – doux, violent et sournois- lui, issu du monde rural d’aïeuls pauvres, sévères mais authentiques.
« C’était époustouflant, comme cette aristocratie de l’argent avait retourné tous les trucs de babas cool à son profit. Ils logeaient spacieux à saint-Germain, dans des manoirs et des machins – et ils partaient jouer les miséreux tiers-mondains et audacieux, clochards célestes à American Express, chantant Kerouac et Nicolas Bouvier. Roots, ils étaient roots, ça leur faisait comme une aura. » Page 100
« J’ai vu des types dans des salons, moi, dans des maisons, qui mettaient des coups de poing nulle part, quoi ne haussaient pas la voix, qui faisaient des politesses, et des courbettes, et des bons mots, et qui massacraient des gens ! en série !
-Des nazis, tu veux dire ?
-Non ! je te parle des Jean-Benoît Gaspard, moi, de Louis et de tous leurs copains ! des assassins réunis autour d’un saint-émilion ! » Page 105
Encore vivant mais pas que le récit d’un parcours, c’est aussi une critique virulente de la bourgeoisie écrasante et du milieux hospitalier psy où il croise tant d’âmes écorchées. Une médecine ambiguë qui soigne mais qui stigmatise aussi beaucoup…
« C’étaient les électrochocs, la sismo. Je venais de basculer. Je venais d’entrer dans le cortège effrayant des grands dérèglements. » Page 32
« Je découvrais la longue nuit mentale, notre enfer, terrorisé. Ça commençait tout juste, et ça ne cesserait jamais. » Page 33
« On en frissonne dans les romans, des existences esquintées. Mais c’est autre chose de les avoir là tout à côté de soi, de les voir se débattre agrippées à son bras, déchirées alors que soi-même on l’est déjà. » Page 35-36
« Quand à vingt ans, vous vous retrouvez battu puis enfermé avec des schizophrènes, des suicidaires, des déficitaires et compagnie, quand vos nouveaux copains entendent des voix ou découpent leur voisin en tranches, que vous ne disposez plus de votre liberté, votre vie bascule. Plus rien n’est jamais comme avant. » Page 173
Encore vivant est aussi un cri d’espoir, de rage et d’amour pour les siens (grands et petits paysans ardéchois, travailleurs, vrais, rustres et remplis d’amour) et surtout son père Manoust (omni)présent, attentif et un brin déconneur.
« J’étais remonté de toute l’horreur du fond, du physique dévasté, du mental fracassé pat le choc de la rupture, foudroyé par les souvenirs d’hôpital violents, de basculement dans la gigantesque folie des centres d’hébergement.
J’avais retrouvé mon accent de la Garonne. » Page 246
« Ce que je dis, c’est qu’il faut out le temps extraire l’humanité. Il y en a tout le temps, même si elle est loin, brisée, incertaine – mais elle luit à chaque fois, au bout, au fond du fond. Il faut la traquer, la chercher toujours, l’obliger à se dire, à se découvrir. Et ne retenir qu’elle, et la garder comme un trésor, et l’annoncer. » page 81-82
Désordonné et violent, Encore vivant met parfois mal à l’aise, mais il éclaire aussi le lecteur désireux de comprendre une pathologie obscure. Pierre Souchon n’apporte pas là un regard scientifique mais nous laisse comprendre ce que le malade peut vivre, il nous laisse entrevoir la douleur et la peur qui accompagnent la maladie. Il se livre là avec courage, folie, humilité et franchise, et transmet là autant de rage que d’humanité.
« Tout mon combat, ça a été de considérer que j’étais malade au même titre qu’un diabétique, ou qu’un type qui a le VIH. Une maladie au long cours, qu’on doit traiter au long cours –et surtout qu’il n’y a pas de différence entre une maladie psychique et une maladie organique…le souci avec les maladies psys, et c’est un énorme problème, c’est qu’on vous stigmatise. » page 172
Respect, Monsieur Pierre Souchon pour cette autobiographie touchante et déstabilisante.