SÉRIE-CHOCJ'ai vécu parmi les Escargots4- Le Miracle de la vie !

Par Eric Mccomber
On ne se le cache pas, le métier de chercheur scientifique inséré, à fortiori dans la jungle sauvage, n'est pas de tout repos. Morsures venimeuses, intempéries, cyclones, pluies glacées, canicules torrides, solitude, famine, soif, font partie du rythme quotidien du chercheur qui accepte sciemment de plonger au cœur des contrées inhospitalières et cruelles telles que (dans mon cas) la Gironde, sorte de continent oublié, de zone interdite où règne la loi impitoyable du defacto biologique. Malgré tout, il existe des récompenses mirifiques associées à l'accumulation de toutes ces privations. Il ne s'agit en aucun cas de ces chaires en zoologie ou de ces postes de directeur de magazine qu'on tente de nous offrir pour nous faire taire, pour nous récupérer, pour enterrer le fruit révolutionnaire de nos recherches subversives. Non ! Le véritable salaire de la peur du chercheur dévoué qui risque sa vie pour approcher la nature indomptable, c'est l'apparition ponctuelle de la manifestation sublime et furtive du plus beau des chef d'œuvres qui se puissent imaginer : l'illustration concrète de la passation du souffle de vie.

18 juin, naissance de Rosaire, fils d'Ambroise
Ballet Nuptial et escargrossesse
Les escargots s'accouplent au cas par cas, selon leurs envies spontanées et la disponibilité des partenaires. Quand on met un mois à parcourir dix mètres, nos exigences prennent un coup de réalisme. Les amants se tripotent à l'avenant et se disent des mots doux, puis repartent chacun de son côté, généralement enceints l'un de l'autre. La gestation a une durée très variable, fonction de l'impétuosité du fœtus, qui peut étirer son séjour de deux à quatre mille mois. Pendant cette période, le petit développe les aptitudes qui détermineront sa personnalité et occuperont la majorité de son temps au cours de la vie qu'il se prépare à mener. Celles-ci sont en temps normal : sommeil, méditation, mastication.
Nota : L'escargounet qui étire son séjour au-delà des limites se calcifie dans la coquille parentale et finit par devenir une décoration vivotante.


Gonzague Junior, fils de Gonzague
Accouchement
La mise à bas se déroule à la pleine lune, non pas pour des raisons mystiques (les escargots sont plutôt pragmatiques), mais pour y voir quelque chose. Lorsque le moment est venu, le parent se met en quête d'un endroit propice au grand tour de magie de l'existence. L'escargros nettoie la surface qu'il a sélectionnée et y dépose une boule de glu-royale. Le petit disque d'argent en fusion s'aplatit à mesure que la matière refroidit, révélant la coquillette de l'escargounet naissant. La surface de la plaque d'argent prend au même moment la forme du design de la monnaie en vigueur dans la région où se déroule l'heureux événement. Voilà ce qui explique le mystérieux secret de la naissance de l'argent de poche, dont tout le monde se demande d'où elle sort.



Rosaire mord dans la vie ! Sa pastille à peine sèche, il saute en direction du premier brin d'herbe
La première préoccupation de l'escargouigoui est habituellement d'enfin boire et manger un petit coup hors de la coquille parentale. Le premier repas est déterminant et presque toujours la cause d'une indigestion, après quoi le nourrisson reste plusieurs jours au fond de sa maisonnette fraîchement façonnée. Il ne réalise pas que ces modestes reptations sont en fait les pas initiaux d'un chemin qui le mènera de la première brindille jusqu'au bout de l'aventure, aux confins de la nuit et à l'envers de la Terre ! Quels petits étourdis ! D'ailleurs, souvent, un gros oiseau les croque dès les premières minutes. Cours, cours, petit ! C'est la cruelle loi de la jongle.


Rosaire attaque à pleine gueule un… lacet de fermeture éclair. Première leçon de botanique pour le brave petit : herbe orange = pouah !© Éric McComber