Je n'ai manqué qu'une seule fois la rentrée : Ultime était née la veille, je prendrais ma revanche quelques jours plus tard. Longtemps je me suis demandé ce qui nous poussait à en faire un jour exceptionnel, alors qu'après tout, c'est comme n'importe quel autre jour de l'année : il ne revient qu'une fois par an. Est-ce l'odeur de papier propre des cahiers neufs ? L'impatience d'étrenner un nouveau stylo ? Savoir si l'on sera assise à côté de sa meilleure amie, ou de la pestouille de la classe, ou pire, celle qui renifle?
J'ai beau réfléchir, je ne me souviens d'aucune de mes rentrées, sauf la première au collège : j'étais venue seule, contrairement à toutes mes futures camarades. C'est devenu, trente ans plus tard encore, un sujet de plaisanterie avec mes parents. Ni eux, ni moi, n'avaient pensé qu'on venait accompagnée à douze ans, quand pourtant on est assez grande pour prendre le train pour la grande ville, et trouver seule le chemin entre la gare et le collège. Mais les rentrées de primaire, ou même de maternelle, aucun souvenir, rien, le vide.
Du coup, je m'interroge. Est-ce que mes enfants auront aussi oublié leur main dans la mienne ces premiers jours de septembre ? Sans doute. Ils auront certainement plus de souvenirs des autres jours, ceux où on allait à l'école à vélo, ou encore les cheveux mouillés de la piscine, ou ceux où on ramassait des pommes sur le chemin. Ceux où on chantait, ceux où je restais dans la classe pour les emmener par petits groupes à la bibliothèque, ceux où j'accompagnais le défilé de carnaval, ou le jumelage en Allemagne.
Evidemment, les parents accordent plus d'importance à la rentrée que les enfants. Evidemment, eux sont bien plus intéressés par ce qui adviendra que par ce qui est. Evidemment, nous restons là, avec notre quête de sens, notre passion des souvenirs, alors qu'eux s'envolent allègrement. Evidemment, que demain est un autre jour, et puis après-demain, et le jour d'après.
Je n'étais pas à la rentrée ce matin. Et sans doute que je ne serai plus là qu'une année sur deux, mère à mi-temps, parce que voilà, c'est la vie. Ca ne les empêchera pas de grandir trop vite, ni de ramener tous ces papiers à remplir, ces livres à couvrir, les jeans troués aux genoux et les baskets trop vite trop petites.