A partir du 24 octobre 2017, Le musée de l’histoire de l’immigration présente l’exposition Lieux saints partagés, Coexistences en Europe et en Méditerranée.
La question des identités religieuses est l’une des plus sensibles du XXIe siècle : à chacun son Dieu, ses écritures, ses saints, croit-on. Pourtant, depuis leurs origines, les trois monothéismes (judaïsme, christianisme, islam) partagent croyances, valeurs, rites, figures tutélaires ou sanctuaires. C’est l’objet de Lieux saints partagés, la prochaine exposition du Musée national de l’histoire de l’immigration qui se tient du 24 octobre au 21 janvier 2018 au Palais de la Porte Dorée.
Pour souligner et raconter ce qui rassemble les trois religions révélées, Lieux saints partagés invite les visiteurs au voyage par une traversée contemporaine de Jérusalem à l’Europe continentale, en passant par les îles de la Méditerranée. En effet, malgré les dissensions théologiques, les circulations et migrations des populations d’une rive à l’autre de la Méditerranée ont favorisé et même nourri l’essor de lieux saints communs. L’exposition propose également de (re)découvrir des personnages clés, véritables bâtisseurs de paix comme Louis Massignon, André Chouraqui, Paolo Dall’Oglio qui ont chacun œuvré à la coexistence de communautés de croyance et au partage de lieux emblématiques.
Parcours de l’exposition
1. Une Terre sainte saturée de sens : Berceau des monothéismes, la Terre sainte est marquée par l’exacerbation des frontières, la concurrence des corporations religieuses et l’enchevêtrement des lieux saints. Pourtant, on y observe encore – au niveau des pratiques plus que des dogmes – des formes de porosité interreligieuses. Ainsi à Hébron, en Cisjordanie, deux sites liés à la vie d’Abraham – considéré comme le premier pèlerin par les traditions monothéistes – relèvent de deux attitudes antagonistes : le partage ou la partition. La chênaie de Mambré est, d’après la Bible, le lieu de la rencontre d’Abraham avec les trois anges. Cet épisode, qui illustre le thème central de l’hospitalité, est mentionné à la fois dans la Genèse et le Coran. Le Caveau des Patriarches, quant à lui, est le lieu où auraient été inhumés Abraham, Sarah et leur descendance. Si le site de Mambré porte encore la tradition de l’hospitalité issue de la rencontre d’Abraham avec les trois anges, le caveau des Patriarches offre en revanche un exemple de partition sans échange : aujourd’hui, l’intérieur est physiquement divisé, un espace étant réservé aux
musulmans, l’autre aux juifs. D’autres lieux encore montrent en contrepoint des situations de mixité pacifiée comme le mont Carmel dominant la ville d’Haïfa et partagé depuis le Moyen-âge par les trois monothéismes en dépit d’appropriations confessionnelles successives. De nos jours, le sanctuaire est juif, mais les chrétiens, les druzes et les musulmans s’ y croisent régulièrement dans une atmosphère apaisée, sans contrôle militaire ni check-point. Le lieu saint est d’ailleurs géré par un gardien juif et un gardien musulman.
2. Des îles carrefours : Certaines îles en Méditerranée sont au carrefour des migrations. Nœuds de circulation, elles sont propices aux interactions entre fidèles de religions différentes. Ainsi l’île de Lampedusa, trop souvent associée aux dramatiques traversées de la Méditerranée par les migrants, fut, du XVIe au XVIIIe siècle, un lieu de trêve, d’approvisionnement et de refuge. Visitée par des marins de confessions différentes, une grotte y abritait un oratoire dédié à la fois à
la Vierge et à un saint musulman. En Tunisie, l’île de Djerba fait figure de « creuset judéo-musulman ». Chaque année, des juifs tunisiens ayant émigré dans la seconde partie du XXe siècle en Europe, en Amérique du Nord et
en Israël, reviennent en pèlerinage à la synagogue de la Ghriba. Outre la dimension religieuse, cet événement s’apparente aussi à un pèlerinage de la mémoire. Aujourd’hui, le site est encore fréquenté par des musulmans et demeure l’un des derniers cas de croisement pacifique entre juifs et musulmans. De l’autre côté de la Méditerranée, au large d’Istanbul sur l’île de Büyükada, le monastère grec orthodoxe de Saint-Georges attire chaque 23 avril (fête de Saint Georges) et chaque 24 septembre (Sainte Thècle), plusieurs dizaines de milliers de musulmans qui viennent faire des vœux matérialisés par des messages, des dessins, des cierges, des bobines de fil, des pièces de monnaie, etc.
En Crète, Nikos Stavroulakis (1932-2017) a restauré en 1999 la synagogue de la communauté juive de La Canée, décimée pendant la Seconde Guerre mondiale. Il en a fait un lieu particulièrement ouvert aux fidèles d’autres religions.
3.D’une rive à l’autre : Le parcours approfondit les questions de circulation humaine et religieuse sous l’angle de l’immigration, notamment en France. Des cultes catholiques implantés au Maghreb lors de la colonisation
ont généré des croisements interreligieux jusqu’à nos jours. Pendant la colonisation de l’Algérie, les Français ont bâti des sanctuaires mariaux, investis par les musulmans sans que ceux-ci ne se convertissent comme le prévoyait pourtant le projet d’évangélisation de l’Afrique du Nord. Paradoxalement, les sanctuaires fondés à cet effet sont devenus des lieux multiconfessionnels, à l’instar de Notre-Dame-d’Afrique à Alger ou de Notre-Damede-Santa-Cruz
à Oran. Par la suite, ces pratiques se sont diffusées sur l’autre rive : à NotreDame-de-la-Garde à Marseille et à Nîmes, à l’occasion des vagues d’immigration successives. Les visiteurs découvriront – notamment à travers les photographies de Gianni Berengo Gardin – le sanctuaire de Sante-Rosalie, sur les hauteurs de Palerme, que visitent avec dévotion à la fois des tsiganes musulmans et des Tamouls hindous issus de l’immigration. L’exposition évoque ensuite l’émir Abd-el-Kader, connu pour avoir été un chef politique engagé contre la colonisation. Après sa défaite contre les Français en 1844, Abd-el-Kader est fait prisonnier en France jusqu’en 1852 lorsque Louis-Napoléon
le libère à condition qu’il s’exile. Suite à son installation en Syrie, l’émir se positionne comme défenseur des chrétiens
lors du soulèvement en 1860 à Damas. Ses Écrits spirituels témoignent de sa volonté d’avoir une réflexion inclusive mêlant foi et raison, soufisme et franc-maçonnerie, valorise l’héritage spirituel de l’Emir.
4. Bâtisseurs de paix : Louis Massignon (1883-1962) est l’un des plus grands islamologues et arabisants
français du XXe siècle. Professeur au Collège de France, il a voué sa vie à la connaissance de l’islam. Disciple de Charles de Foucauld et surnommé le “catholique musulman” par Pie XI, il est secrètement ordonné prêtre en 1950 et devient un précurseur du dialogue interreligieux. En 1954, il fonde en Bretagne le pèlerinage islamochrétien
des Sept Dormants, « pour une paix sereine en Algérie ». Cette initiative sans précédent a toujours lieu chaque
année en juillet dans les Côtes d’Armor. Né à Rome en 1954, le jésuite italien Paolo Dall’Oglio a dédié sa vie à la compréhension de l’islam dans le sillage de Louis Massignon. En 1982, il a fondé en Syrie un monastère dédié à l’hospitalité interreligieuse. Expulsé en 2012, il y est retourné clandestinement en 2013 et s’est présenté au siège de l’autoproclamé « État islamique » pour faire libérer des otages chrétiens et musulmans en s’offrant comme « otage volontaire ». Il n’en est pas ressorti à ce jour. Son confrère syrien, Jacques Mourad (1968-) dont le monastère de Mar Elian situé au sudouest de Palmyre et lié à Mar Mûsa, a été détruit par l’« État islamique » en 2015 , a été prisonnier pendant plusieurs mois, avant de s’échapper grâce à l’aide d’un musulman. Il est aujourd’hui réfugié en
Irak. André Chouraqui (1917-2007), célèbre traducteur de la Bible et du Coran, a œuvré toute sa vie au dépassement des clivages confessionnels en France, en Israël et dans le monde, en tant que savant, traducteur, homme politique et acteur du dialogue interreligieux.
L’exposition s’achève sur l’évocation d’initiatives novatrices de fondation de lieux hybrides qui virent le jour dès le XXe siècle, notamment en Europe : ils se distinguent à la fois des lieux de culte dévolus aux pratiques régulières (synagogue, église, mosquée) et des lieux saints de pèlerinage. Le Corbusier et Fernand Léger ont ainsi travaillé sur un projet de lieu œcuménique sur le site de la Sainte Baume (Provence), qui n’a jamais été réalisé. Dernière initiative en date : House of One des architectes Kuehn et Mavelzzi abritera à la fois une synagogue, une église et une mosquée de dimensions identiques, reliées par une salle commune. L’édifice verra le jour en 2018 à Berlin.
Commissariat de l’exposition : Dionigi Albera : anthropologue, directeur de recherche au CNRS et directeur de 2006 à 2016 de l’Institut d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative (IDEMEC) à la Maison
méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH) d’Aix-en-Provence.
Manoël Pénicaud : anthropologue, chargé de recherche au CNRS et membre de l’Institut
d’ethnologie méditerranéenne européenne et comparative (IDEMEC) à Aix-en-Provence.
Lieux saints partagés – Coexistences en Europe et en Méditerranée Exposition présentée du 24 octobre 2017 au 21 janvier 2018 – 293, avenue Daumesnil – 75012 Paris