En 2001, dans la petite boutique de souvenirs d’Elsamere, l’ancienne résidence de Joy et George Adamson située au bord du lac Naivasha, j’achète un bouquin « The End of the Game ».
L’auteur est un photographe, Peter Beard.
Les photographies sont poignantes, mais le texte, en anglais, souvent manuscrit et ponctué de mots swahilis et d’expressions de chasse m’est en grande partie imperméable.
Samedi matin, en maraudant dans une librairie, je tombe sur une traduction, publiée par Taschen cette année, celle des 60 ans de l’auteur.
Sept ans après, cette traduction est un nouveau choc.
Peter Beard y fait revivre les glorieuses épopées de l’exploration du Mont Kenya, et de la construction de l’Uganda Railway durant laquelle deux lions vont dévorer une centaine de coolies indiens dans la région du Tsavo, avant finalement d’être abattus par l’ingénieur en chef John Henry Patterson.
Il évoque la mémoire de Karen Blixen, et de quelques grands chasseurs dont les tableaux de chasse pourtant impressionnants (996 rhinos pour l’un d’eux en 26 mois) ne sont rien en regard de la tragédie que va vivre l’Afrique ensuite.
Copyright Taschen et Peter Beard.
Car finalement, ce livre pointe un doigt accusateur sur les vrais coupables qui font que l’Afrique de l’est des animaux, mais aussi des hommes se meurt.
Le train, les chasseurs, les explorateurs, et dans une moindre mesure Karen Blixen vont ouvrir ce continent par essence inhumain à la colonisation des hommes blancs qui vont dérégler en 100-150 ans un mécanisme d’autant plus immense qu’il est fragile.
En effet, de part ses dimensions cette terre sauvage n’impose aucune retenue dans son exploitation.
La grande chasse « artisanale » est devenue une véritable industrie. Industrie, non seulement pour les peaux et l’ivoire, mais aussi dans le but de repousser sans cesse le domaine des animaux sauvages devant l’avancée des domaines agricoles et des villes.
Alors, devant la disparition de la faune sauvage, des idéalistes ont prôné la création de réserves naturelles protégées, comme celle du Tsavo, ou d’Amboseli, par exemple.
Toute chasse, même celle millénaire des tribus y a été interdite.
Des peuples, comme les Waliangulus y ont perdu leur identité, et ont sombré dans l’alcool, parqués eux aussi dans des réverves.
De bonnes âmes ont abondamment diffusé des images de carcasses d’éléphants de part le monde. Des millions ont été récoltés pour lutter contre le coupable désigné, le braconnage.
Sauf que ce ne sont pas les braconniers qui ont massacré des milliers d’éléphants (Peter Beard parle de 30000), mais la famine.
Dans leurs parcs, sans régulation naturelle, les éléphants se sont multipliés et ont détruit leur environnement. Sans rien à manger, ils sont tout simplement morts de faim. Et à l’autre bout de la planète, bien loin de la réalité africaine, chaque donateur, ou même ceux qui ont compati devant ces images et se sont insurgés contre les braconniers se sont enveloppés dans leur bonne conscience et ont dormi du sommeil du juste.
Un cliché pris en 1976 par Peter Beard à la frontière du parc de Tsavo. Le parc, ravagé par les éléphants est à gauche.
Dans la dernière partie, Beard fait un parallèle entre l’éléphant et l’être humain, entre l’Afrique des réserves et la planète.
La dérégulation de la démographie humaine soutenue par de bonnes intentions et des idéaux humanistes auxquels je souscris entièrement, j’y consacre une grande partie de ma vie, conduirait à une surexploitation de la terre et à l’extinction finale.
Ce livre est sombre, et pas seulement pour les amoureux de l’Afrique captivés par sa beauté; il sous-tend aussi des choses difficiles à accepter.
Et c’est pour cela qu’il faut le lire.
« Cette forêt dévastée
Que nous avons connue
Ne réclamera pas de châtiment ;
Les hommes qui l’ont détruite
Exécuteront sa vengeance. »
Un éléphant solitaire à Nakuru (L. Passmore)
Elephants à Tsavo (L. Passmore)
Crescent Island. Je fais un petit sourire crispé car je n'étais pas rassuré du tout. J'étais bien jeune à cette époque (2001), sniff...