Le rêve qui ouvre ce film devient cauchemar. Être entouré de vaches laitières, vivre parmi elles, rythmer ses journées sur leur rythme quotidien, le film nous le donne à voir. Mais cela ne ferait que renvoyer les citadins, dont je suis, aux images ou aux discours connus sur la condition agricole. La force du film est de nous faire toucher, et presque sentir, à quel point les éleveurs sont contrôlés de la naissance du veau jusqu’à l’abattage des vaches. S’il en manque une, cela est immédiatement repéré. Et, même si ces méthodes rassurent les consommateurs, dont je suis, ils ne mesurent pas à quel point elles contraignent les paysans dans leur existence, leurs modes de vie, leur vie sociale et familiale. Le film montre bien cela. Mais s’il me touche, c’est aussi parce qu’il raconte une histoire humaine. Qu’il révèle des sensibilités plus que des aspects économiques. S’il faut détruire un troupeau où une maladie contagieuse apparaît, ce que tuent les services sanitaires, ce sont des êtres vivants auxquels le paysan est attaché. Il n’y a pas de mièvrerie. Il y a un engagement de tous les instants. Et chaque vache, quoique portant un numéro à l’oreille, a un nom. Le « petit paysan » (celui qui n’a qu’un petit troupeau, qui travaille dans la ferme familiale) doit faire face à tout : les contrôles, les soins apportés aux bêtes, la vigilance des parents qui sont restés près de la ferme, la curiosité des voisins, l’avidité des autres, parfois la détresse personnelle. Le scénario nous entraîne habilement dans une sorte de thriller. Il y a des mort(e)s, et il y a une organisation sociale et quasi policière qui traque et dont on se dit qu’elle aura le dernier mot. Le scénario ne dit pas le dernier mot.
Il est construit autour du personnage, certes, mais aussi autour de la fratrie qu’il forme avec sa soeur. C’est un des aspects qu’on retrouve dans les courts-métrages d’Hubert Charuel : La diagonale du vide (le frère qu’on attend pour l’anniversaire de la mère), K-nada (le projet de voyage de deux frères). Et il y a toujours l’un des deux qui semble sortir du milieu où il a grandi. Comme si la question taraudait le réalisateur : rester ou non. Dans ce film, Petit paysan, c’est celui qui reste auquel on s’attache. Sans doute grâce au jeu de l’acteur (Swann Arlaud) qui nous fait partager son angoisse et sa colère retenue. Mais aussi par contraste avec la soeur (Sara Giraudeau), vétérinaire, toujours au contact des vaches mais sans en élever elle-même, connaissant les risques et les règles et soucieuse de les respecter. Mais la scène où on les voit dans le salon des parents montre bien qu’ils ne sont pas opposés mais qu’une vraie complicité les unit. Ils ne sont donc pas, me semble-t-il, deux entités, mais bien une seule tiraillée entre deux projets de vie.
(Les scénarios des deux courts-métrages et du film cités ci-dessus sont de Hubert Charuel et Claude Le Pape)