Si j'en crois ce livre, c’est extraordinairement confus. Au début, l’extrême droite, ce sont les royalistes. Puis ce sont les nationalistes, sur le modèle Allemand. C’est-à-dire le mythe d'une culture propre à la France, enracinée dans son histoire. (On ne peut pas comprendre de quoi il s’agit si l’on n’a pas lu Barrès et les auteurs de ce temps.) Aujourd’hui, c’est le Lepénisme, que j’aurais bien du mal à définir. En fait, ce sont des ramassis de mécontentements, aux soubassements extrêmement fragiles. A tel point que leurs leaders doivent les fédérer en recherchant des dénominateurs communs plus ou moins théoriques. Maurras en donne un grand exemple : il est royaliste par raison. De même qu’il perçoit l’antisémitisme avant tout comme un moyen de rassemblement. Il en est de même pour la religion catholique. Surtout, les courants d’extrême droite sont extraordinairement fluctuants. Ils sont corrélés aux difficultés du pays. Ils accrochent les mouvements de mécontentement. Mais dès que la conjecture se rétablit, c’est fini. D’ailleurs leur diabolisation leur sert : en brouillant le jugement des gouvernants, elle les empêche d’agir. Ce faisant, les circonstances favorables aux extrêmes se maintiennent.
Vichy fut le grand moment de l'extrême droite. Pour la seule fois de notre histoire, elle gouverne le pays. Mais quel bric à brac ! Comme Boulanger, Pétain était perçu comme un militaire de gauche. Il est rejoint par un assemblage invraisemblable d’individus de toutes origines : Doriot vient du PC, où il rivalisait avec Thorez, Spinasse est un ministre de Blum, etc. Et, une fois de plus, après la stupéfaction initiale, le peuple ne suit pas les excès du pouvoir. A partir de 41, il devient « attentiste » dit l’ouvrage. Mieux, le mouvement d’extrême droite qui a le mieux réussi est celui des Croix de feu du Colonel de la Roque. Or, ce colonel a été un résistant !
Anomie ? Les auteurs du livre croient avoir trouvé des invariants à la question de l’extrême droite. Je n’en suis pas sûr. Comme le dit une citation donnée en introduction, « extrême droite » semble surtout un terme injurieux. Ce qu’il recouvre n’est que de peu d’intérêt pour ceux qui l’emploient. En particulier, on l’associe à « fascisme ». Autre terme flou. Au mieux, il signifie la dissolution de l’homme dans un groupe ultra hiérarchisé. Une aspiration que l’on prête au Français, comme chacun sait…
La théorie de la complexité dit que la vie est ce qu’il y a entre le chaos et l’immobilité. Je me demande si l’extrême droite n’est pas une réaction de la vie au chaos, qui réclame, par contre coup, l’immobilisme. De gauche à droite on a qualifié la République d’avant guerre de 40 de « désordre établi ». Camus, en particulier, a été extrêmement sévère vis-à-vis d’elle. Il en a été de même de celle d’avant 14. Ce désordre était à la fois une question de scandales, de politiciens véreux, de lâcheté, de manque de charisme et de courage, mais aussi de valeurs. On reprochait à l’argent et au « libéralisme » matérialiste de corrompre la société. L’extrême droite est un appel au rétablissement de « l’ordre ». Il vient, en minorité, de gens qui s’opposent au mouvement général de la société, qui veulent l’immobilisme. Mais c’est surtout un refus de « l’injustice », c’est à dire d’une société qui trahit son principe, fondateur, de solidarité. (Les chômeurs grossissent les rangs des extrêmes, mais aussi ceux qui estiment qu’on leur manque d’un respect qui est dû à tout homme.) Le livre dit que les thèses de l’extrême droite gagnent la société, ce qui en fait le danger. Je crois plutôt que, lorsqu’il souffre, l’homme cherche des causes à ses difficultés. Et, faute d’avoir l’entraînement pour ce faire, et le temps, il débouche sur des idées simplistes. Bref, il me semble que l’extrême droite est un « phénomène » dû à un changement qui se passe mal. Une question d’anomie.