Lath Ronald Armand M’bro : « on est là pour faire du cinéma »

Publié le 30 août 2017 par Africultures @africultures

Dates clef de MBro Lath Ronald Armand (dit Lath Mbro)
1995 (27-12) : Naissance à Abidjan (Côte d’Ivoire)
2012 : Création de la société de production Star Vision
2013: Réalisation de son premier court-métrage, L’œil du cœur
2015 : Réalisation de son premier long-métrage, Compte à rebours

Principaux films produits
Courts-métrages
2013: L’œil du cœur
Longs métrages
2015: Compte à rebours
2016: Le prédicateur à la mitraillette
Série télévisuelle :
2017 : S.O.S.
Autodidacte, M’bro Lath est acteur, réalisateur, producteur, metteur en scène et scénariste. Du nom de son entreprise, Star Vision Production, à celui de ses films – comme Le prédicateur à la mitraillette – sa foi religieuse compte beaucoup dans sa vie comme dans son travail.

Sur quels projets avez-vous travaillé ?
Présentement je suis sur une série de 52 épisodes intitulée SOS, réalisée et produite par moi-même, qui sera diffusée en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Avant cette série j’ai produit et réalisé un court métrage L’œil du cœur, l’histoire d’un agresseur qui est tombé amoureux de l’agressée sans le savoir : une belle histoire d’amour, qui prône le pardon. Après j’ai coproduit un long métrage Compte à rebours, l’histoire de personnes d’une même communauté qui, à cause de l’envie qu’elles portaient aux autres personnes, se sont divisées. Et ensuite j’ai produit mon long métrage chrétien de fiction, Le prédicateur à la mitraillette, où il est question de celui qu’on appelle Satan ou Lucifer, comment il met des pièges sur le chemin de plusieurs personnes appelées à servir le Christ ; c’est un film du genre horreur.

Comment été produit  Le prédicateur à la mitraillette ?
Il m’a coûté 3,5 millions de francs. Je l’ai produit sur fonds propres. En tant que formateur, j’ai formé moi même mes acteurs sur deux années. Et Dieu merci j’ai un champ de manioc de 3ha qui pourra donner cette somme pour investir dans mes films. Et c’est comme ça que j’investis dans le cinéma ivoirien. Sur ce film j’ai été réalisateur et producteur. J’ai eu une directrice de production, avec une équipe de six personnes.
Et Dieu merci à Abidjan je ne paye pas de maison ; ma famille a des constructions, donc cela me permet d’investir dans mes films. Je rassemble une somme de 300 000 ou 400 000 FCFA, je réunis mes acteurs, je parle avec eux, on prend une Mazda de 25 places, on va sur le site de l’action du film, et on tourne. Et quand on a fini de tourner on rentre avec la même équipe, dans les mêmes conditions. Et Dieu merci avec la compréhension des acteurs, parce qu’ils connaissent un peu la réalité des producteurs et des réalisateurs en Côte d’Ivoire, on a travaillé, on s’est entendu, et on a pu produire dans des conditions très compliquées. J’ai fait ce film avec une vieille caméra Canon 650D et un micro Speedlink troué, mais j’ai produit ce film qui a valorisé ma voix, et celle de la nation ivoirienne. Maintenant j’ai du matériel de meilleure qualité, j’ai la volonté, j’ai le don de soi, et j’ai l’amour du cinéma africain ivoirien.
A sa sortie, comme je n’avais pas 3 millions pour louer une très grande salle, j’ai pris une salle de 500 personnes en Côte d’Ivoire et le jour de l’avant-première je suis passé à la télé nationale, j’ai fait la publicité du film via les réseaux sociaux, et avec le bouche à oreille, les amis et les fans qui me suivaient, on a rempli la salle. Des gens s’asseyaient par terre pour regarder le film. Le film n’a pas encore été distribué, parce que c’est un film en six parties, et c’est la première partie que je viens de finir. Je dois faire passer le film sur plusieurs chaines de télévision, mais il faut d’abord que je finisse tout le contenu avant de le livrer.

Est-ce plus facile pour le financement après un premier succès ?
Non ce n’est pas facile ! D’ailleurs le financement, c’est clanique ; il y a des personnes qui sont favorisées. On a du talent, il faut seulement qu’on nous regarde, qu’on regarde ce qu’on peut faire. En Côte d’Ivoire j’ai ma maison de production, Star Vision, j’ai mes acteurs – j’en ai formé 200- j’ai le contenu. Il y a du talent en Côte d’Ivoire, il y a du talent en Afrique, mais le fonctionnement est clanique. Ce sont les télévisions étrangères qui m’appellent pour parler du projet avec moi ; ce n’est pas normal.
La série télé S.O.S de 52 épisodes coûte entre 20 et 30 millions, et je n’ai même pas 12 millions sur mon compte. Cette série parle de réalités ivoiriennes[1], par exemple des jeunes filles qui ont des enfants et qui sont chassées de la maison, à 16 ans ! Un autre sujet sont ces personnes qui veulent aller à l’école mais n’ont pas de moyens, et sont obligées de faire des petits métiers pour épargner afin de suivre les cours du soir. Et à la sortie il n’y a pas de boulot, c’est un grand problème et c’est ce que je suis en train d’évoquer dans la série SOS, pour dire que beaucoup souffrent mais de manière silencieuse. En tant que scénariste, en tant que réalisateur, je ne peux que mettre ma pierre à l’édifice en décrivant ces maux.

Comment tournez-vous vos films sans soutien financier ?
Quand je suis en train de tourner, dès que je commence à être à court de fonds, je stoppe le tournage, on se réunit, on se dit que nous avons un délai de deux mois pour réunir par exemple 300 000 F. Puis quand on finit la réunion avec l’équipe technique, on fait appel aux acteurs, on leur dit ce qu’il en est, et on associe les acteurs aux charges : on est là pour faire du cinéma, on ne dira pas qu’on va les emmener à Paris ou à Hollywood, mais nous avons un souci, on parle sincèrement, qu’on veut travailler avec eux mais que nous n’avons pas les moyens. Ceux qui veulent aider aident, ceux qui ne veulent pas aider se retirent, parce que nous voulons travailler de manière collective. Et Dieu merci le message passe très bien, chaque acteur met la main à la poche, on réunit la somme au moment opportun, on fixe les dates de tournage et on tourne.  Mais plusieurs nous ont lâchés, dont mon assistant.
Très souvent on se regroupe en équipe, on part tourner au bord de l’eau, à 3h du matin. On vit tellement de choses sur le tournage, et on partage, la nourriture par exemple ; moi je peux prendre le riz, une actrice peut venir avec de l’huile, etc. De manière collective on s’en soucie et ça crée quelque chose de bon. C’est l’astuce qu’avec notre équipe nous avons mis en place pour pouvoir créer beaucoup de choses.

Et pour vos autres activités dans le cinéma ?
La formation des acteurs est importante. J’utilise une école primaire que je loue pour former mes acteurs; et un jour viendra où je pourrai, si Dieu le veut, créer une école du cinéma en Côte d’Ivoire.
Pour la distribution des films, je n’ai pas de partenaire ; j’ai un frère Ivoirien qui a une structure de cinéma qu’on appelle Tif, basée en Suisse, qui aide notre cinéma. Il vient en Côte d’Ivoire tous les deux à trois mois, c’est lui qui a pris le film pour passer de salle en salle.
En Europe, il y a des structures, des maisons de production, des organismes, il y a des personnes qui peuvent aider, pas seulement moi, mais toute la nouvelle génération ivoirienne à pouvoir sortir de l’ombre. Mon cri du cœur est que cette interview ne tombe pas dans l’oreille de personnes sourdes ou muettes. Alors je pense qu’au final nous aurons gain de cause, si et seulement si vous y croyez, vous aussi.

Propos recueillis par Camille Amet, Mariam Aït Belhoucine et Sofia Elena Bryant à Ouagadougou en février 2017 ; entretien réalisé par Claude Forest.

[1] « La jeunesse africaine cherche le bonheur nuit et jour, entre doute et espoir. C’est ce bonheur qu’une jeune villageoise pensait avoir, en devenant citadine. Loin de son village et sans repère, elle se laissera conduire sur le chemin des vices destructeurs par une jeunesse insouciante et inconsciente. La série télévisée S.O.S. expose une jeunesse africaine travailleuse et en quête de repère, qui a besoin de reconnaissance et d’encouragement. Dans cette série, une jeunesse résignée s’apitoie sur le présent mais lutte pour construire son lendemain comme Jessie qui, par faute de moyens financier, n’a pas pu continuer ses études et s’est investi dans la vente d’eau pour subvenir à ses besoins tout en épargnant pour ses études ainsi qu’aider sa mère. La série télévisée S.O.S, c’est tout simplement un voyage au cœur du vécu de chaque Africain ».