Ce livre ne répond pas à ma question. Comme on le fait souvent dans le monde anglo-saxon, il analyse brillamment la production intellectuelle de l’époque. Je ne suis pas sûr que cela ne rate pas une partie de l’action. En tout cas, je ne suis pas convaincu que la République de Weimar ait été un « suicide », comme le dit le titre. Au contraire, j’ai l’impression qu’elle aurait pu réussir.
En fait, elle naît sous des auspices effroyables. L’Allemagne est en proie à des forces de dislocation terrifiantes. Je lisais que la gauche française d’avant guerre (avec Keynes) estimait que le traité de Versailles était inique. Car la France était aussi, voire plus, responsable du conflit que l’Allemagne. Or, ce que dit ce livre est que l’Allemagne était déjà aux prises, avant 14, avec une pensée totalitaire. Elle estimait que sa « Kultur » devait dominer le monde, parce qu’elle était supérieure aux autres. Et qu’elle devait retrouver sa place, volée par le progrès anglo-saxon. Cela débouche sur une formidable pulsion de mort. Elle se retrouve dans l’œuvre de Heidegger, notamment. C’est de la confrontation avec le néant que va naître l’éclair de génie qui va transformer le monde, et lui donner un sens.
Mais ce n’est pas tout. Les démocrates qui prennent le pouvoir en 18 sont de dangereux amateurs. Alors que l’armée est discréditée, ils s’allient à elle pour écraser, dans le sang !, les Spartakistes, leur aile gauche. Son honneur est restauré, elle pourra désormais miner la démocratie et préparer en toute sérénité un coup de force. A cela s’ajoute le fait que l’intellectuel confonde démocratie et critique systématique. Donc qu’il tire contre son propre camp, et le discrédite.
Pourtant, cela a failli marcher. Et c’est, peut-être, une grande leçon. Il semble qu’il y ait eu deux facteurs favorables au maintien du régime. Le premier, c’est la prospérité. Elle tue dans l’œuf tous les mouvements de contestation. Le second, c’est Stresemann. C’est un homme politique qui ne vient pas du camp républicain. Mais il se prend d’amitié pour la démocratie, et lui apporte son talent, et son pragmatisme. Malheureusement, il meurt en 29.
Ce qui met le feu aux poudres, ce sont les pacifiques Américains. La croissance allemande est dépendante des capitaux étrangers. La crise de 29 les assèche. Mais, là encore, tout n’est pas perdu. La prise de pouvoir de Hitler ne s’est pas passée comme je le pensais. Car, après des élections réussies, il subit un revers. On croit alors que ses carottes sont cuites. Il envisage le suicide. Mais voilà qu’un politicien traditionnel croit pouvoir l’utiliser… On connaît la suite.