Les nombreux dessins que Parkinson réalisa le long des côtes maori nous sont très précieux, nous renseignant sur les vêtements et les parures car on ne sait pas ce que Tupaia a précisément reçu sous forme de présents. Ainsi dans le portrait de l'homme maori (cf. note précédente), remarque-t- on l’élégant peigne en os de baleine à la base du chignon. Ces heru étaient portés par les hommes. Des exemplaires plus petits, en bois, ont également été réalisés. Un pendant en néphrite orne une oreille et un hei tiki, pare le cou du personnage. Ces pendentifs de cou sont parmi les ornements maori les plus célèbres ; ce qu’ils représentent demeure encore une énigme.
Il y a encore ces longs manteaux maori tissés en fibres de lin. Ce sont aussi des manteaux décorés de plumes et de peau de chien, portés exclusivement par des personnes de haut rang et offerts comme cadeaux de prestige. N’en faisons pas mystère : Tupaïa mourra à Batavia sur le chemin vers l’Angleterre. Son serviteur Taiata décèdera quelques jours avant lui...
« Reçu ce jour la désagréable nouvelle de la mort de Taiata", note Banks le 9 novembre. "Sa disparition a affecté tellement Tupaia qu’il y a peu d’espoir qu’il lui survive longtemps ».
Il n’y a personne à qui confier leurs objets : la flûte de Taiata, les appuie-nuques, le tabouret de Tupaia et peut-être son pectoral. Ce dernier est-il celui qu’on peut admirer au Pitt Rivers Museum sous le numéro d’inventaire 1887.1.392 ? Un de ces objets qui porte la mention Dr Lee’s Trustees et par conséquent donné par Banks au Christchurch College ...
De même la flûte de Taiata correspond-elle à l’objet PRM 1903.130.20 et l’appuie-nuque PRM 1887.1.382, est-il celui de Tupaia ? Ces deux objets proviennent des îles de la Société, portent la mention « Dr Lee’s Trustees » et ont été donnés par Joseph Banks au Christchurch College... Ce sont beaucoup d’indices qui plaident en faveur d’une telle attribution !
Il n’y avait personne à même de réclamer les biens de Tupaia et encore moins les précieux taonga remis en Nouvelle - Zélande.
Si on ne sait ce que sont devenus tous ces objets, il semble évident que Cook et Banks se les ont appropriés et on va les retrouver dans les donations faites pour beaucoup à Cambridge, au British Museum ou encore dans la collection personnelle de Cook.
On sait qu’il y a eu au moins deux manteaux (kuri purepure et kaitaka kuri ) ornés des précieux liserés appelés taniko, réalisés avec des bandes de peaux de chiens, et un hei tiki rapportés du premier voyage.
Les deux manteaux (PRM 1886.21.19 et PRM1886.21.20) ont été donnés par Joseph Banks au Christchurch College, et le hei tiki (cf. photo ci- contre ci-dessous) fut offert par Cook au roi George III et se trouve dans la collection royale HM Queen Elisabeth II à Londres.
S’agit-il des objets de Tupaia ?
Un autre objet pour le moins spectaculaire se trouve de nos jours dans les collections ethnographiques de l’université de Tübingen, en Allemagne. Il s’agit d’un poupou, c’est-à-dire d’un panneau architectural d’une maison maori. Or en octobre 1769, Banks, Parkinson, Spöring et Tupaia visitèrent une maison presque achevée dans l’île de Pourewa. Il est noté que Banks rapporta un poupou, mais étant donné le motif de cette sculpture, une représentation d’ancêtre, on peut se demander s’il ne s’agit pas plutôt, là encore, d’un cadeau de prestige à l’attention de Tupaia. Banks en fit faire un dessin par John F. Miller à son retour en Angleterre, puis on perdit pour plus de deux siècles la trace de l’oeuvre. Grâce à des recherches plus approfondies et l’existence de ce dessin, on retrouva l’objet en 1996 à Tübingen !
(A. Salmond rapporte l’hypothèse de Volker Harms (Un. de Tübingen) selon laquelle le géologue germano-autrichien F. Von Hochstetter qui visita la Nouvelle-Zélande en 1858-59 a dû acheter le panneau en Angleterre à un collectionneur. À sa mort, sa fille Emma a dû faire don de cette oeuvre à l’université de Tübingen, là où son père avait étudié dans sa jeunesse).
Mais poursuivons le voyage.
Après la Nouvelle-Zélande, cap sur l’Australie.
Les rencontres ne se passent pas de la même manière. Les indigènes sont craintifs, fuient les étrangers et Tupaia ne semble pas pouvoir réussir à communiquer avec eux. Il tente néanmoins de jouer son rôle d’intermédiaire. Les jours passent et Tupaia est de plus en plus mal.
Sa mort à Batavia demeure assez mystérieuse tant sur les causes que sur la date du décès. Sur ce point les journaux de Banks et Cook divergent. Ce dernier n’annonce le décès que le 26 décembre 1770, jour du départ de l’Endeavour de Batavia : « Le chirurgien, 3 matelots, le valet de M. Green (l’astronome) et Tupaia et son valet, victimes ici d’un climat malsain »...
(On sait que Cook mettait un point d’honneur à ce qu’aucun de ses hommes ne soit mort du scorbut !
Est-ce la raison de ce retard dans l'annonce du décès si effectivement Tupaia est bien mort en novembre comme Banks le prétend ?).
Et c’est sans compter sur les 28 autres hommes qui périront entre Batavia et l’Angleterre ; et parmi eux Sydney Parkinson, le 27 janvier 1771 suivi le 29 par le décès de Charles Green, l’astronome.
Parkinson lui aussi, avait réuni une petite collection d’artefacts pour sa cousine Jane Gomeldon, une femme de lettres, aventurière passionnée par les mers du Sud...
Que sont devenus ces objets ?
Si les voyages de Cook sont la source d’une abondante littérature, on revoit encore de nos jours les zones d’ombre de ces expéditions.
Ainsi de récents éclaircissements sur la personne de Tupaia bousculent-ils l’opinion laissée par l’épitaphe écrite par Cook : « ...He was a Shrewd, Sensible, Ingenious Man, but proud and obstinate which often made his situation on board both disagreeable to himself and those about him, and tended much to promote the deceases which put a period to his life ». Cette dernière phrase « C’était un homme intelligent, perspicace, ingénieux, mais également fier et obstiné ...» résume malheureusement le jugement que le capitaine portait sur Tupaia, ne reconnaissant à aucun moment qu’il ait pu être au moins son égal ! Mais c’est sans compter sur les différents éclairages que prennent des faits du passé à la lumière du présent.
Dans un article daté de 2011, on peut lire sous la plume de Paul Tapsell (Professeur à l’université d’Otago en Nouvelle-Zélande) : "For Maori, Tupaea may have trodden lightly on our beaches, but his footprints continue to pattern our memories through oral history. Eight generations later, we still respect the influence he had on our identity by naming our children after him" ...
Sources : Voir Bibliographie à venir.
Photo 1 : Dessin d’une pirogue de guerre maori par Sydney Parkinson © The British Library Add.MS 23920.f.46 10.
Photo 2 : Dessin d’un maori vêtu d’un long manteau et armé par Sydney Parkinson © The British Library.
Photo 3 : Pectoral, îles de la Société PRM 1887.1.392 et détail.
Photo 4 : Appuie-nuque, îles de la Société PRM 1887.1.382
Photo 5 : Flûte, îles de la Société PRM 1903.130.20
Photo 6 : Hei Tiki © The British Museum, photo de l’auteure, Londres 2008.
Photo 7 : Poupou maori © Institut d’Ethnologie, Université de Tübingen A608.